Journée régionale sur les démarches participatives territoriales : Aurélien Troisoeufs

Bonjour. Merci aux organisateurs de m’avoir invité et à vous de nous avoir accueillis dans les ateliers.

Je suis anthropologue de la santé au GHU Paris psychiatrie & neurosciences.

Je m’intéresse à la participation sous trois angles un peu différents.

  • Premièrement, la participation représente un sujet d’étude. J’ai toujours travaillé sur la manière dont les personnes faisant l’expérience de troubles psychiques participaient ou s’organisaient, se mobilisaient autour de leur santé. J’ai spécifiquement travaillé sur les associations. Ma thèse portait, entre autres, sur les groupes d’entraide mutuelle (GEM). Plus tard, j’ai travaillé sur la manière dont les personnes faisant l’expérience de troubles psychiques et de troubles neuro-évolutifs (maladie de Parkinson) se mobilisent sur Internet. Et puis, plus récemment, je m’intéresse à la manière dont les patients et les proches investissent, se mobilisent dans ou autour des espaces de l’éducation thérapeutique du patient (ETP). Donc, j’étais ravi de pouvoir vous entendre, aujourd’hui, échanger sur cette question ...
  • Deuxièmement, j’expérimente, je teste, avec des personnes concernées par des troubles psychiques, la recherche participation. Dans ce contexte, on s’interroge régulièrement sur ce qui relève concrètement de la participation dans nos démarches. A quels moments participe-t-on ?
  • Et puis, troisièmement, dans la discipline de l’anthropologie la question de la participation est centrale. Au sein des sciences sociales, l’anthropologie est spécifique dans sa manière d’entrer en contact avec le « terrain » et dans sa manière de recueillir des informations. Les outils principaux de l’anthropologue sont le stylo et le carnet (certains utilisent la photographie ou la filmographie). Il est important de considérer qu’une part importante de notre méthode pour recueillir des informations est relationnelle. La prise de notes n’étant pas, a priori, l’outil de recueil de données le plus « efficace », il oblige le chercheur à prendre du temps avec les personnes qu’il rencontre. Et ce temps de terrain représente, entre autres, l’intérêt et la spécificité méthodologique de la discipline. L’« observation participante » est l’expression donnée à cette posture de recherche, qui consiste à essayer de comprendre comment des groupes d’individus vivent, pensent, font, et cela, en étant au plus près de leur quotidien. Le temps que nécessite le recueil des données de terrain conduit ainsi les anthropologues à accéder à des informations que d’autres approches de recherche, plus formelles, ne permettent pas.

Pour vous donner un exemple, j’ai commencé à travailler en psychiatrie, il y a vingt ans avec l’objectif, parallèle de la découverte de la psychiatrie, de pouvoir un jour faire un sujet de recherche. J’ai été Agent de Service Hospitalier, c’est-à-dire que je faisais le ménage des espaces collectifs et des chambres, avant d’être anthropologue. Il s’agit d’une forme d’immersion dans le milieu hospitalier, dans la continuité du travail de Jean Peneff. Encore aujourd’hui, quand j’ai l’opportunité de faire du terrain dans le GHU Paris psychiatrie & neurosciences, mon entrée sur le terrain se fait généralement par un travail de soutien aux équipes en faisant le ménage ou en les aidant pendant les périodes de repas. Ma démarche a été identique dans le milieu associatif.

Je me permets une parenthèse : j’ai adoré la manière dont la journée a été organisée, c'est-à-dire comment vous envisagez qu’il faille participer pour amorcer une réflexion sur la participation. Cette mise en abîme, je trouve, marche bien. C’est très intéressant. J’ai eu l’impression, en vous écoutant, que vous étiez tous convaincus par le principe de la participation, mais que vous n’étiez pas tous d’accord sur sa définition, ce qui n’est pas plus mal. Ce qui vous réunit aujourd’hui, c’est aussi le comment. Et sous cet angle, il me semble que vous avez surtout discuté les rencontres qui se créent de cette participation, que ce soit dans sa façon de la définir ou de l’appliquer.

Je vous propose (c’est une proposition, c'est-à-dire que vous n’êtes pas obligés d’être d’accord) d’envisager la participation sous l’angle de la relation. C'est-à-dire de s’interroger sur ce que signifie « agir en commun ». A partir de là, cela implique de se détacher de la participation comme une norme, comme un modèle, comme un critère, voire comme un label. La participation est une relation. L’idée, ce ne serait pas d’essayer de la définir, mais d’en comprendre sa dynamique relationnelle et de la faire ... Faire quelque chose tout en s’interrogeant sur sa signification, son application, son processus … Ça s’appelle expérimenter.

Donc, la proposition qui vous est soumise est d’aller davantage regarder du côté des pratiques, d’essayer de comprendre ce qui se fait et puis de le questionner. Par exemple, je n’ai toujours pas compris exactement ce que c’était que la participation. Je ne rentre pas avec une définition précise. Par contre, j'ai été témoin de réflexions, de négociations, d’expérimentations. Certains disent : c’est de la participation, d’autres répondent que non. C’est ça qui est intéressant. Ça rejoint ce que disait Madame Ghadi, ce matin : l’idée, ce n’est pas de pérenniser, c’est de maintenir la question ouverte et ce type de journée participe à cela.

Par exemple, quand on pose la question « A quoi sert la recherche participative ? »... Bon, je dois dire que généralement, on ne se pose pas cette question. Il y a une sorte d’évidence qui est que, a priori, quand on utilise le qualificatif « participatif » dans le monde de la santé, cela impliquerait toujours un même mouvement, celui d’un usager, d’un patient, d’un citoyen, un néophyte qui intègre un groupe de personnes identifiées comme des experts, que ce soit en sciences humaines et sociales ou en médecine. Cet à priori est largement partagé aujourd’hui. Mais si on garde à l’esprit que la participation peut être appréhendée comme une relation, on peut s’accorder sur le fait que le qualificatif « participatif » ne renseigne pas sur l’identité du groupe, ni même sur la nature de la rencontre, mais plutôt sur l’intention des acteurs engagés sur la manière dont ils veulent travailler, sur la posture qu’ils souhaitent prendre.

Ainsi, l’idée, ce n’est pas d’ajouter de nouveaux adjectifs au terme participatif. Il y a une tendance à vouloir proposer toujours plus de néologismes pour essayer de rendre plus compréhensible ou significatif un phénomène. Mais l'idée ici, c’est simplement de considérer le participatif, non pas en se centrant sur la personne qui expérimente une maladie, mais sur la relation de l’ensemble des intervenants en présence. Autrement dit, il est proposé de considérer que tout le monde est concerné par cette histoire, et pas uniquement le patient, l’usager, le citoyen.

Cette approche rejoint ce que disait Jean tout à l’heure. La démarche participative n’a pas attendu, pour se mettre en pratique, que les acteurs institutionnels s’accordent pour dire « il faut participer ». Elle existait avant. Toutefois, un changement existe dans le fait de vouloir la faire exister dans un cadre formel et, a priori généralisable. Deuxièmement, le phénomène semble aujourd’hui centré sur la personne faisant l’expérience d’une maladie ou d’un handicap, s’inscrivant dans un groupe, un environnement dans lequel, à priori les personnes ne seraient pas concernées par ces expériences. Et cela pose deux questions : pourquoi centrer la participation sur la personne alors qu’elle est censée être une relation ? Cette manière de concevoir l’approche participative ne risque-t-elle pas de maintenir les distinctions qu’elle souhaite initialement dépasser ?

Nous pouvons faire des constats similaires autour des usages actuels du terme de pair-aidance. Aujourd’hui, si je m’étais présenté ainsi : « Bonjour, je m’appelle Aurélien Troisoeufs, je suis pair-aidant », personne n’aurait relevé. Vous auriez été une grande partie à déduire que j’expérimentais une maladie ou un handicap. Je me rappelle, il y a quelques années, lorsque je devais me présenter dans certains cours à la faculté, je jouais sur un glissement sémantique similaire, celui de « personne concernée ». En fonction du cours prévu, il m’arrivait de présenter ainsi : « Bonjour, je m’appelle Aurélien Troisoeufs, je suis concerné par la psychiatrie depuis l’âge de 17 ans ». Et pendant quinze minutes, je ne précisais pas ma façon d’être concerné, et maintenais le doute. Je commençais le cours et les étudiants partageaient discrètement : « Oh, dis donc… un patient !… ». Aujourd’hui, si je me présente devant vous comme « pair-aidant », il semblerait évident que je suis en train également de vous informer que j’expérimente une maladie ou un handicap. Mais le terme de pair-aidant, comme l’adjectif « participatif » n’apporte pas ce type d’informations. Entre professionnels, il est évident que l’on peut s’aider à partir d’une relation entre pairs. S’il y a quelqu’un dans la salle qui est passionné de Star Wars comme je le suis, on peut devenir pairs et s’aider. La pair-aidance, comme l’adjectif participatif est encore une fois une relation. Et pourtant, nous sommes en train de cristalliser ces deux termes. S’ils s’inscrivent dans une philosophie qui vise à dépasser l’identité de malade ou de personne en situation de handicap, une certaine mise en pratique peut conduire de nouveau à la reproduire. Je pense que cela mérite que l’on y réfléchisse.

L’autre point qui m’a semblé intéressant dans vos propos, c’est que vous étiez tous - ce n’est pas une critique parce que je fais la même chose -, nous étions tous partis pour réformer les choses, pour changer, pour accepter de transformer nos profils, nos postes, notre manière de penser. Et, en même temps, il y a un paradoxe - mais un paradoxe, c’est une condition pour penser autrement. On se dit que pour changer les choses, il nous est nécessaire de déconstruire notre pensée. Mais pour réaliser cette déconstruction, on estime qu’il est nécessaire de créer un cadre qui implique une nouvelle mise en ordre ! Un nouveau cadre risque de priver les acteurs de leur créativité et son absence risque de rendre pérenne ce dont on souhaite s’affranchir. Le chat qui se mord la queue !

Pourtant, c’est intéressant parce qu’on évoquait la question du conflit. Jean Wils l’a dit, et puis cela a été dit avant aussi. Je pense que le conflit est sain, et surtout très intéressant, s’il arrive à un résultat d’échanges entre les acteurs engagés. Bien que désagréable, voire douloureux à vivre, le conflit peut permettre de questionner les rôles et les places de chacun. Dans un contexte qui valorise le pouvoir, la force et l’espoir, la fragilité n’est plus forcément acceptée en santé, autant du côté des professionnels que des patients. Il s’agit d’un état que l’on essaie généralement d’éviter ou de maîtriser au mieux. Toutefois, on peut constater que ces situations inconfortables ont des effets dans les interactions. Elles deviennent aussi des moyens de dépasser les limites du cadre qu’on avait mis en place et d’ouvrir une relation qui sera de fait participative.

Avec un de mes collègues, Iannis McCluskey, pair praticien au laboratoire SM/SHS, nous travaillons sur la recherche participative. Au cours de nos expérimentations, nous nous sommes rendu compte que les choses ne se passaient pas comme on le voulait ou l’imaginait. Une marge de manœuvre s’ouvre de fait entre nous. Si cela ne marche pas, on va pouvoir en parler. Quand ça marche, il y moins d’intérêt à s’y arrêter.  C’est pour cela que quand une situation ne fonctionne pas, nous pensons que nous nous rapprochons d’une approche dite « participative ». C’est dans ces conditions qu’une marge de manœuvre donnera l’opportunité de réfléchir et de se questionner. Donc, je ne vous invite pas à entrer en conflit avec tous ceux avec qui vous voulez travailler. Par contre, rien ne vous empêche de douter, et de travailler ce doute collectivement. Et surtout dans un contexte bienveillant. 

J’ouvre une nouvelle parenthèse en lien avec le travail effectué avec Iannis McCluskey sur la recherche participative et notre expérience du doute.

Premièrement, fait intéressant et cocasse, à chaque fois qu’on rencontre pour la première fois des personnes dans le cadre de nos recherches, ces dernières ont tendance à considérer Iannis comme l’anthropologue et moi comme étant le pair aidant. Ces situations sont riches d’enseignement sur les représentations sociales de la recherche et de la santé mentale, mais surtout des rôles joués à deux dans ce type de situation.

Lors de notre premier entretien, on est arrivé sur notre terrain de recherche en centre médico-psychologique. Tout était préparé : à la suite d’un entretien avec moi, la personne rencontrée devait prendre un temps avec Iannis pour partager son expérience.  L’ordre était bien (pré)établi : le chercheur du côté des questions et le pair aidant du côté de l’expérience. Toutefois, lorsque je commence à poser une question (c’était un entretien semi-directif), la personne détourne complétement son attention de mes questions préférant s’adresser à mon collègue. Elle lui dit par exemple : « Mais attends, toi, tu es hospitalisé depuis combien de temps, là ? Tu prends des traitements, encore ? » - De mon côté, je tente de reprendre le contrôle sur la situation : « Attendez, s’il vous plait, est ce que l’on peut faire d’abord l’entretien et après, vous ferez le partage d’expérience, il n’y a pas de souci » - « Oui, mais il ne m’intéresse pas ton questionnaire ! » - « Attendez, , s’il vous plait… ».
Là, mon collègue intervient et commence à dire : « Attends, Aurélien, laisse tomber je vais m’en charger »… « Enfin, bon, je fais quoi, moi, si je ne peux pas poser de questions ».  Le bazard absolu ! Un trio chaotique !
On sort du centre médico-psychologique en n’ayant pas récolté beaucoup d’informations. ! On part boire un café et là, on se pose des questions : « Qu’est-ce que l’on a fait ? Qui devait faire quoi ? Pourquoi n’avons-nous pas réagi ? Et de ce premier rendez-vous loupé, nous avons commencé progressivement, à se poser des questions sur nos techniques d’enquête mais aussi sur nos identités, nos rôles, notre relation allant jusqu’à : « Mais toi, Aurélien, OK tu es anthropologue, OK tu as un diplôme, mais en quoi je ne peux pas poser les mêmes questions que toi ? Montre-moi, concrètement ce qui fait que toi, tu poses des questions différemment de moi ? ». Sur le moment, il me bloque. C’est normalement l’anthropologue qui pose les questions (humour).
Mais je réagis et l’interroge à mon tour : « Mais toi, OK, tu as une expérience des troubles psychiques, mais à quel moment tu exprimes cette expérience de la psychiatrie ? Moi aussi j’ai une santé mentale qui n’est pas toujours bonne… Je peux la partager avec la personne qui est en face de moi. Pourquoi toi, tu serais plus légitime que moi à parler de ton expérience et à écouter celle de l’autre ? ».
On réalise ce travail depuis deux ans, à travailler longtemps sur ce qu’on était et ça rejoint aussi la question de l’humilité. C'est-à-dire accepter de se dire : « OK, je suis considéré comme le scientifique, ou je suis considéré comme le représentant d’usager. Parce que là aussi, il n’y a pas que d’un côté que ça doit douter. Ce n’est pas juste : moi, je me remets en question parce que, moi, j’ai beaucoup de savoir et j’ai les épaules pour me remettre en question. Toi, si tu te remets en question… t’es foutu ! Non… Non, pas du tout, au contraire ! Au contraire ! Il y a un jeu qui s’installe entre nous et, au bout du compte, dans notre travail, l’enjeu est de montrer que nous interagissons en tant que pairs aidants. On ne partage pas les mêmes expériences de santé, mais nous sommes pair aidants dans pleins d’autres domaines, dont la démarche de recherche. Donc, le doute est essentiel, et il peut être intéressant de le partager.

Un autre point qui me semble intéressant de partager avec vous, c’est que la participation n’est pas toujours là où on l’imagine. La volonté de vouloir réaliser une approche participative, une démarche participative, ne signifie pas pour autant que ce qui ne relève pas de ce qualificatif, "participatif", n’anime pas, informellement, une dynamique participative. C'est à dire que vous n’êtes pas obligés de dire que vous faites du participatif, pour faire du participatif. Ce n’est pas seulement un label. C'est-à-dire qu’autour de vous, dans votre quotidien, vous passez votre temps à faire des micro-actions qui relèvent d’une démarche participative et c’est important de prendre en compte ces dimensions avant de vouloir créer tout un dispositif technique, formel et conceptualisé. Repérer les moments, les endroits où on fait du participatif, c’est déjà des choses extrêmement importantes. Ça veut dire qu’il n’y a pas UN environnement qui est le participatif et le reste qui ne le serait pas. Déjà, on est en train d’objectiver quelque chose qu’on n’a pas envie d’objectiver, et puis, deuxièmement, ça serait louper toutes les micro-parties de participation qu’on réalise au quotidien.

Et je me permets de vous dire... Au cours de ces vingt dernières années, mon expérience en hôpital psychiatrique m’a permis de prendre conscience que dans les espaces les plus restreints, les plus fermés, les gens créent, les gens innovent, les gens s’approprient. Les murs d’une chambre d’isolement sont généralement recouverts de dessins, de mots, de messages. Même là où la privation de liberté est la plus lourde, les gens trouvent des moyens de se l’approprier (ce qui n’est jamais suffisant dès que l’on parle de privation de liberté).

Ensuite, je souhaite vous soumettre une question un peu provocatrice : « Est-ce qu’il faut forcément avoir des compétences, du savoir, pour pouvoir participer ? ». J’ai beaucoup entendu dans les ateliers, c’est : « Comment faire reconnaître ce savoir ? ». Mais est-ce qu’on peut imaginer ne pas avoir de savoir, ou ne pas connaître ?
A un moment donné, dans un des ateliers, j’ai marqué que je ne savais pas cuisiner. Et je me suis dit : « Mais de quoi j’ai envie ? Premièrement, est-ce que j’ai vraiment envie de savoir cuisiner ? En fait, cela a des bons côtés de ne pas savoir cuisiner si des personnes me soutiennent sur cette dimension ». Je vous accorde que cette première façon de penser n’est pas politiquement correcte. Par contre, la deuxième chose que je me suis dit, c’est : « Mais peut-être que je peux apprendre avec des gens qui ne savent pas cuisiner, aussi ? Est-ce que je suis obligé, forcément, d’aller à la rencontre de personnes qui savent cuisiner pour m’émanciper dans la cuisine ? Est-ce que je ne peux pas aller voir des gens qui ne savent pas cuisiner, comme moi ? ».

Alors, pourquoi je me permets de vous dire cela ? Je travaille en ETP [Education thérapeutique du patient], en ce moment. Et dans ce domaine, un des enjeux énormes, c’est la question du savoir. Comment acquérir davantage de savoir, comment le transmettre, le récupérer et se l’approprier. C’est tout l’enjeu qu’il y a aussi autour de l’ETP. Et c’est cela qui est passionnant. Cette lecture centrée sur le savoir vise au moins deux objectifs déclarés : rendre le participant plus autonome face à sa maladie et créer une relation d’équité avec les professionnels de la santé, en possession des savoirs théoriques. L’équité est représentée comme se faisant par accumulation de savoirs, a priori manquant.

Je me permets de vous partager une dernière description de terrain qui vient questionner cette dernière proposition.

J’assistais à une séance d’éducation thérapeutique sur les médicaments disponibles pour la maladie de Parkinson. Le neurologue qui était en charge de l’animation suit son programme : « Quels sont les traitements ? Que peut-on prendre, qu’est-ce qu’on ne peut pas prendre ? ». Tout en continuant à présenter les principaux médicaments pour lutter contre la maladie de Parkinson, une main se lève - c’était un ETP collectif - : « Bonjour. Excusez-moi. Est-ce que vous pouvez me dire comment je vais mourir (avec cette maladie) ? » Le malaise se fait ressentir… « Non, ce n’est pas du tout la séance, nous pourrons voir cela une prochaine fois » - « Oui, mais en fait, c’est bien les traitements, je sais très bien que ça va me stabiliser, tout ça ; je veux juste savoir comment les gens qui ont la maladie de Parkinson meurent » - « Euh… non, en fait, on ne va pas répondre à cette question-là ; on ne peut pas répondre… ». Une deuxième personne intervient : « Oui, c’est vrai, ça, on se la pose, la question. Parce que c’est bien, les traitements, mais on voudrait savoir comment on va mourir en tant que parkinsonien ! » Et là, vous avez le neurologue qui réagit : « Euh… Non… Euh… Peut-être, la semaine prochaine… ». Et un troisième : « Si, là, on est quatre, cinq, on veut savoir comment… » Et là, le malaise ! Et là, le neurologue finit par répondre : « je ne peux pas savoir. Chaque maladie de Parkinson s’exprime différemment et que l’on ne meure pas directement de la maladie de Parkinson. Mais c’est difficile pour moi de dresser une image générale de cette fin de vie avec la maladie de Parkinson. La séance s’arrête.  

Le neurologue vient me voir en me disant : « Ah… C’était horrible ! Mais c’était horrible ! J’ai complètement planté, je leur ai dit que je ne savais pas. Et puis, ils m’ont posé plein de questions. Je n’ai pas été suffisamment formé pour répondre à plein de questions de ce genre. C’est horrible ! » Il était terrassé. Il y a eu une réunion, après, sur comment on évite ces choses-là, etc.
Par la suite,  je suis allé à la rencontre des participants. Ils m’ont dit : « Mais c’est génial ! Mais lui aussi, il ne sait pas ! Donc, on est un peu pareils ! ». C'est-à-dire qu’à certains moments, on peut aussi créer de l’équilibre, on peut créer de la participation sur le non savoir, sur le fait de ne pas savoir. On ne sait pas faire des choses… On peut coopérer ! Et puis, cela crée de l’équité, cela crée de la relation. Et en ETP, il y a plein de moments de déstabilisation qui ne sont pas le but premier de l’ETP, mais qui sont des effets secondaires de l’ETP. Et ces effets secondaires créent autant d’équité que quand on dit : « Voilà, vous avez les mêmes informations que moi, maintenant, on peut se comprendre. Mais on peut aussi se comprendre sur des éléments qui nous font défaut ou semblent nous manquer. ».

Je trouvais que ce point-là était important pour sortir, aussi, d’une lecture qui pourrait être binaire sur les conditions de mise en pratique de la participation en santé.
Je m’arrête là. Je vous remercie.

Journée régionale sur les démarches participatives territoriales