Journée régionale sur les démarches participatives territoriales : Jean Wils

Au cours de cette journée, j’ai découvert l’extraordinaire diversité des dispositifs, des structures, des espaces, des instances, des groupes, des associations, alors que mon expérience se limite essentiellement au système hospitalier. Et là, je me pose déjà une question très citoyenne : comment, en tant que citoyen usager, suis-je informé de ces dispositifs ? Et comment puis-je y participer ? Est-ce que c’est de l’ordre de l’initiative personnelle ? Ou est-ce que je suis sollicité ? Et dans les deux cas, est-ce que je ne suis pas dans un parcours qui est déjà quelque peu fléché, à la fois par ce que je suis et la façon dont on me considère, dont on me catégorise ?

Evidemment, ça interroge la place des usagers, qui s’est construite, historiquement, par la mobilisation associative, donc, collective ; ce qui a permis de donner des droits à chaque usager. Cette place de l’usager a changé et elle n’est pas figée car, malheureusement, on peut devenir travailleur pauvre et l’accès au soin en deviendra problématique. Ça veut dire que si on veut donner une place aux usagers et que celle-ci n’est pas prévue, il va falloir se pousser un peu… pour leur faire une place. Ou alors, on va leur donner un strapontin.

Mais la place se donne-t-elle ? Elle se prend aussi. Et donc, la question des enjeux de pouvoir apparaît. L’exemple de la Maison des usagers de Brousset et de celle de l’hôpital européen Georges Pompidou, où j’ai travaillé, est intéressant de ce point de vue. La Maison des usagers est un lieu d’informations et d’interventions, qui rassemble des associations. Evidemment, la « place » n’est pas seulement une question de mètres carrés. La Maison des usagers était très grande à Brousset, et toute petite à l’Hôpital Européen Georges Pompidou, mais elle était au centre de l’hôpital. Et donc, ça interroge aussi la fonction symbolique des dispositifs, puisqu’elle était au centre de l’établissement et non pas exilée derrière la morgue, comme un certain nombre de Maisons des usagers dans des grands centres hospitaliers universitaires.

La place des usagers, c’est aussi une question de projet, de la place respective des savoirs et de leurs interactions, des relations usagers-professionnels et de ceux qui portent ces questions, les associations. Mais des associations veulent-elles participer ? Oui, bien sûr ! Mais en fonction de leur cadre d’exercice.

Quelques mots sur la place des associations... Qu’est-ce que l’expérience des Maisons des usagers de Brousset et de l’Hôpital Européen Georges Pompidou nous montre ? C'est que le rassemblement des associations, qui tiennent des permanences en collectifs inter-associatifs, crée un vivier d’expériences utile et nécessaire dans la construction des partenariats avec les professionnels et les institutions. Mais aussi que certaines associations n’ont pas souhaité rejoindre les Maisons des usagers, préférant s’investir dans les services auprès des malades. Et ce sont essentiellement les associations de malades, d’ailleurs, qui sont restées dans les services. Et ceci interroge le rôle des associations dans la démocratie sanitaire, la dimension participative dans sa forme institutionnelle, là où s’exerce aussi la représentation.
La dimension relationnelle et d’entraide est privilégiée par certaines associations qui se reconnaissent difficilement dans les formes institutionnalisées d’intervention. Si je prends l’exemple d’un malade expert en diabétologie, évidemment il va avoir des relations privilégiées avec la diététicienne. Mais pourquoi ne pourrait-il pas être utile au comité de liaison alimentation-nutrition d’un établissement de santé, là où il n’y a pas forcément de représentant des usagers ? Mais à la condition de se décaler par rapport à son expérience personnelle, par une démarche de transfert et de généralisation de ses savoirs. Et ça, ce n’est pas toujours facile, mais ça s’apprend.

L’activisme thérapeutique (terme employé par la sociologue Janine Barbeau à propos des associations autour du sida) porté par le milieu associatif a déplacé la participation dans la sphère publique et politique. Daniel Defert [sociologue, militant anti-sida et président-fondateur de AIDES, la première association française de lutte contre le sida] disait à propos du malade : « le malade est un réformateur social ». Est-ce qu’on ne devrait pas plutôt dire aujourd'hui « l’association de malades est un réformateur social ?» Evidemment, les associations plus généralistes se sont emparées de la problématique et il serait intéressant d’avoir des statistiques. France Asso Santé pourrait nous aider là-dessus pour savoir quelles sont les associations qui ont des représentants des usagers.
Et puis, un dernier point sur les Maisons des usagers : c’est l’organisation des cafés éthiques. C’est devenu très à la mode… Et pourquoi c’est intéressant ? Parce que ça crée des discussions autour des questions éthiques qui touchent aux citoyens, non pas dans le lieu hospitalier mais dans un café. Evidemment, ça change totalement les conditions d’une prise de parole des citoyens.

La question du cadre dans lequel s’exerce la participation a été très largement interrogée aujourd'hui dans les différents ateliers. Le cadre de la participation est souvent fixé, à moins que des collectifs ne s’invitent évidemment : c’est la mairie, la Région, la Maison de santé pluridisciplinaire, les CPTS... où le cadre est explicite, mais il peut être plus implicite aussi. Les acteurs de la participation ont pu largement s’exprimer : usagers et professionnels. Et l’engagement des usagers a été largement abordé, mais celui des professionnels aussi. Et même, au-delà de l’engagement, on a parlé de militance des professionnels. Alors, on regrette souvent que les bénévoles ne soient pas plus militants, sur le modèle des associations autour du sida. Mais que dire du militantisme professionnel, qui interroge d’ailleurs le rapport au travail. S’investir, rester, partir, s’entraider... n’est-ce pas la réciprocité des engagements des professionnels qui est posée ? Peut-on tenir ce militantisme quand on est bénévole d’association, représentant des usagers ? Quelles sont les marges de manœuvres des uns et des autres dans l’élaboration et la conduite des projets ?
Le cadre d’exercice des dispositifs de participation permet-il cet engagement ? L’engagement des professionnels peut-il être favorisé, limité ? Et qu’en disent les professionnels ?

Deux mots sur mon expérience de chargé des relations avec les usagers des associations à l’Hôpital Européen Georges Pompidou, puis à l’Hôpital Saint-Antoine. Ce sont les militants associatifs qui m’ont formé parce qu’ils avaient eux-mêmes un passé de militants autour du sida. Et j’ai découvert avec eux ce que voulait dire participer et ce que voulait dire la démocratie sanitaire.
Pour eux, la démocratie, c’était un combat. Et la participation, une coopération conflictuelle. On n’a pas beaucoup parlé de conflit ce matin. Le conflit, c’est un passage obligé dans la construction de la démocratie en santé car il y a toujours une transaction… trans - action, dans la relation sociale, qui est une relation d’antagonisme. Le conflit permet de s’entendre sur ce qui nous oppose et donc de négocier. Si on ne peut pas s’entendre, si on ne peut pas se parler, c’est là que la violence arrive. On passe non pas au conflit mais à l’hostilité.
Evidemment, les relations de pouvoir et de savoir sont le cadre de ce partenariat. Et participer, pour eux, c’était exercer des formes de cette démocratie qui relèvent à la fois de son cadre légal mais aussi de cette fonction du conflit. Pas de représentant de la commission médicale d’établissement à la commission des usagers et les deux représentants des usagers se lèvent, scandalisés, quittent la réunion et obligent à trouver une nouvelle date. Devant des dysfonctionnements répétés des Urgences et des annulations d’interventions, ils demandent un audit des Urgences et des blocs qui auront lieu. Il faut s’autoriser… il faut oser, quand on est représentant des usagers ! Ce qui montre que le pouvoir d’agir n’est pas seulement de l’ordre des compétences. Influencer, est-ce que ce n’est pas aussi une forme particulière de participation ?
Les contraintes du cadre permettent-elles le climat de bienveillance et de confiance qui permet à chacun de s’exprimer ? Et aussi que les valeurs associatives ne soient pas en contradiction avec le cadre entraînant un conflit difficile à supporter. Avoir confiance dans la participation, c’est aussi avoir confiance dans les professionnels et les institutions, pas seulement pour l’expression libre de chacun, mais pour que puissent se libérer les potentialités ; et pour que les attentes, les besoins, les demandes et les propositions soient prises en compte et que les effets attendus se réalisent.

Ce n’est pas tant la démocratie, à mon avis, qui est contestée, que son exercice et ce qu’il a produit de désillusions, de manipulations, d’immobilisme et, finalement, de trahison par rapport aux attentes que la participation avait créées.

Là c’est la question de la finalité de la participation qui est posée : à quoi sert-il de participer s’il n’en ressort rien ? Vous me direz qu’il en ressort toujours quelque chose, au moins pour soi, en termes d’épanouissement personnel, de développement de son pouvoir d’agir : « j’étais bien, c’était intéressant, j’ai pu parler, on m’a écouté, j’ai beaucoup appris… » ou alors « je n’y remettrai pas les pieds ».
Ce point-là est capital. Créer de l’attente par la participation, c’est dangereux. La crise de la démocratie, aujourd’hui, le montre. Ce n’est pas tant la démocratie, à mon avis, qui est contestée, que son exercice et ce qu’il a produit de désillusions, de manipulations, d’immobilisme et, finalement, de trahison par rapport aux attentes que la participation avait créées. Ça voudrait dire que la démocratie sanitaire, c’est moins une organisation qu’une forme de micro-société, de relations, autour de la santé. Evidemment, la crise de la démocratie représentative est pointée. Et ceci rend d’autant plus exigeante la mission des représentants des usagers, et nécessite d’utiliser nos expériences pour essayer d’avancer.

Pour finir, je voudrais revenir sur mon expérience de représentant des usagers à l’établissement de santé de Fresnes. C’est le lien entre la participation des usagers les plus défavorisés, évidemment… des prisonniers, l’évaluation à l’exercice de la démocratie en santé qui m’interroge. Il n’y a aucune plainte et réclamation dans cet établissement. Les résultats des questionnaires de satisfaction remplis par les patients détenus ont des scores de satisfaction proches de 100% sur la qualité des soins, l’accompagnement soignant et la propreté des chambres. C’est quasiment une république bananière : 100% partout. Et ceux qui le disent, c'est vrai pour eux. Bien sûr, la qualité des soins, de l’accompagnement soignant et la propreté de la chambre… ça veut dire quoi pour eux ? Ils sont ravis de l’attention qui leur est portée pendant l’hospitalisation par rapport à celle qui leur est portée en prison. Ravis de la propreté de leur chambre et de l’intimité par rapport à la promiscuité, à l’état lamentable des cellules surpeuplées. Quelle valeur accorder à ces résultats ?

Et ces exemples qui posent la question du cadre de référence des différents acteurs de santé. Ce cadre est-il le même que celui des professionnels ? Pour tous les patients, ou les conditions dans lesquelles s’expriment les patients, sont-elles déterminantes ? Les droits des patients seraient-ils relatifs ? Comment évaluer, alors, la qualité de notre système démocratique de santé ? Alors, évidemment, on a des lois qui fixent un peu le curseur, mais attention aux conditions qui pourraient, un jour, compromettre la possibilité d’exercice réel de ces droits, qu’on serait amenés, après, à relativiser.

Je posais la question de la valeur des questionnaires de satisfaction, mais ça pose aussi la question de la valeur donnée à l’expression des usagers. Or, aujourd’hui, l’appareillage actuel de la participation proposé par nos institutions et nos organisations, ça s’appuie essentiellement sur la parole. Or, la parole, ça dépend, en grande partie, comme dirait Bourdieu, du capital culturel des personnes. Alors, je ne vous dis pas, en prison…. Et les plus démunis n’ont pas toujours une utilisation facile de cette parole. Et même, d’oser s’exprimer dans le cadre de participations très institutionnalisées, avec la rencontre de spécialistes, du langage très codé des administrations et du langage très codé médical.
Et dans la représentation, donc, comment ne pas reproduire le risque de domination, de soumission et de délégation aux plus compétents ? Comme dans les ateliers, le cadre institutionnel de la participation ne doit pas limiter les capacités, les possibilités d’inventivité des acteurs de la participation.

Que la participation ne rentre pas dans la catégorisation ne signifie pas que celle-ci a un effet sur le pouvoir de dire ou d’agir des personnes, y compris si elles sont silencieuses. Pouvoir de dire, pouvoir d’agir, quels sont ces pouvoirs pour des patients détenus ? Comment penser la participation sans penser ses conditions d’expression et d’exercice, d’une part, et sans penser à toutes les populations dont le recueil de l’expression est plus difficile ? Et je pense qu’on ne peut plus penser la participation uniquement dans les institutions participatives, par les représentants des usagers… puis, maintenant par les patients experts, puis par les pairs aidants qui vont former d’autres groupes très institutionnalisés… Et qui vont s’ajouter, d’ailleurs, aux représentants des usagers.

On va redonner de la place aux patients… Les patients remettant en cause les frontières de l’expertise, les différents types de savoirs et leurs places respectives, développant ainsi leur pouvoir d’agir, l’empowerment des malades… et par là même, une relation différente avec les professionnels modifie la conception des patients d’aujourd’hui. Les patients créent eux-mêmes, finalement, la figure de patient. Est-ce que cette figure de patient sera reconnue et permettra les interactions nécessaires avec les professionnels de santé ? Est-ce que le système de santé, malgré sa formidable évolution, peut absorber cette modification de la relation, avec une médecine non pas POUR le patient (centrée sur le patient) mais une médecine AVEC le patient. Là, je suis un peu du côté du soin. Quelle formation, transformation des professionnels ?

Je vais employer un gros mot que tout le monde connaît et que tout le monde emploie, parce que c’est dans la rhétorique actuelle sur la participation des usagers, c’est l’empowerment. Je trouve que c’est un terme intéressant. On mélange d’ailleurs, allègrement, ce terme avec d’autres. Et je pense qu’il faut revenir un peu aux fondamentaux, parce que l’empowerment interroge la question du pouvoir, à la fois individuel, collectif, et social. Il faut se rappeler quand même Paulo Freire. Dans sa pédagogie des opprimés, il montrait combien cette notion recouvrait une dimension politique et de transformation sociale. Or, la notion d’empowerment a pris aujourd’hui un tournant un peu néolibéral. Ça s’est développé, évidemment, dans la réaction aux institutions bureaucratiques hiérarchisées. Et c’est comme ça que ce terme a évolué vers une valorisation des individus comme acteurs, à une période où la subjectivité, où les identités deviennent des thèmes majeurs dans le champ politique, dans le champ des sciences sociales, dans les mouvements sociaux.
Si toutes les approches dites d’empowerment envisagent la transformation des individus, ce ne sont pas forcément des mêmes individus dont il s’agit. Et ce ne sont pas forcément les mêmes subjectivités qui sont travaillées.

Place aux femmes. Sur l’empowerment, c’est elles qui ont beaucoup utilisé ce terme, écrit dessus, et lutté avec. Dans ses versions radicales et féministes, l’empowerment désigne un processus sociopolitique qui articule une dynamique individuelle d’estime de soi et de développement de ses compétences, avec un engagement collectif et une action sociale transformative.
Il faudrait que l’empowerment soit plus qu’une méthode de développement personnel ou d’adaptation et de responsabilisation des individus, et reste un projet d’émancipation. Et se pose alors, à la fois, la question de l’intégration et celle du dépassement des individus et des groupes, dans une perspective politique. Et la difficulté, c’est d’articuler ces trois dimensions : individuel, collectif et politique. Et je pense que ça interroge la construction d’un processus et d’un projet de transformation sociale, qui repose non plus sur un modèle et sur une perspective dessinée par avance, et portée par ceux qui savent, par une avant-garde sachante, mais construit à partir des multiplicités d’interventions collectives et individuelles, des différents réseaux à différentes échelles et de différentes façons. Le E patient apparaît, là.

Donc, ce sont des modalités d’interventions collectives et individuelles. Ce sont ces réseaux qui sont à construire, les instruments d’intégration et d’expression des revendications et propositions, dans une stratégie dont les représentants des usagers doivent s’emparer avec les associations et avec la coordination qui leur donne une force politique : France Assos Santé… mais qui leur donne une force politique, peut-être pas tout à fait de la même façon que celle qui existe aujourd’hui.

Est-ce que le collectif associatif national, en France, pourrait avoir un projet politique au sens noble du terme ? Je terminerai sur cette question et je vous remercie de votre attention.

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