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Journée régionale sur les démarches participatives territoriales : Véronique Ghadi
Je viens aujourd'hui partager ma réflexion sur les questions de participation, puisque cela fait un peu plus de vingt ans que ces sujets me travaillent et que je travaille ces sujets.
Les idéaux de la participation
La commande qui m’a été faite est de porter une réflexion sur les idéaux de la participation. Je ne sais pas ce que cela évoque chez vous. Moi, ça m’a plutôt plongée dans un abîme de perplexité : d’abord sur l’ambition du sujet et ensuite, parce qu’une fois qu’on entre dans l’aspect plus concret de faire vivre des dispositifs de participation, la question des idéaux semble loin des enjeux pratiques de mise en œuvre. Les idéaux portent le sens des démarches mais la complexité de la mise en œuvre s’impose « Comment est-ce qu’on la fait vivre de manière réelle ? » : entre ce qui peut paraître théorique et ce qui est effectif.
Je me suis tournée vers les organisateurs, la véritable consigne m’a été révélée et j’étais beaucoup plus à l’aise avec, puisqu’il s’agissait d’essayer de décomplexer tout le monde sur ce qu’est la participation et, surtout sortir de ce qui pourrait en être une vision normative. Et c’est vrai que ça peut être abordé de manière très normative !
Je suis allée rechercher la définition des idéaux, c’est : « l’ensemble de valeurs intellectuelles, morales, esthétiques, politiques, considérées comme conformes aux aspirations les plus élevées de quelqu’un, d’une collectivité, et comme une fin qu’il se propose d’atteindre ». Ce que je retiens dans cette définition, c’est que c’est très contingent, très lié à une société. Et comme une société ça bouge tout le temps, la participation, les modalités de participation et les idéaux de la participation ne sont pas immuables. Finalement, c’est un peu comme l’idéal démocratique. Si on repart sur l’idéal démocratique de la Grèce antique et qu’on compare avec aujourd’hui, il n’y a pas grand-chose de commun. Alors, évidemment, on est toujours sur la même définition, c’est le pouvoir par le peuple. Mais les institutions qui portent la démocratie ont bougé, les modalités de l’exercice démocratique ont profondément été modifiées, et même, la définition du peuple n’est pas la même.
Il en est de même de la participation.
Voyage expérientiel dans les participations
L’objet de ma présentation c’est d’essayer de vous faire voyager un peu dans ce que peuvent être les formes de la participation et leurs modalités d’exercice. Pour ce faire, je vous propose d’emprunter une perspective, pas historique au sens académique du terme, mais plus personnelle. Je me suis dit que le meilleur moyen de cheminer, c’était de reprendre ma propre histoire pour essayer de voir au cours de ces vingt dernières années quelles évolutions ont eu lieu.
D’une démocratie représentative à une démocratie délibérative
La première fois que j’ai croisé cette question de la participation, c’était en 1999, j’étais jeune professionnelle et on m’a demandé de faire une revue de littérature sur l’usager acteur du système de santé. Il y avait des travaux qui étaient menés au niveau national, des travaux prospectifs qui devaient imaginer le système de santé à l’horizon 2020. Et à l’époque, on voyait bien que cette question de l’usager devenait de plus en plus prégnante. On m’a demandé d’apporter quelques éléments de littérature pour éclairer ce sujet.
Evidemment, beaucoup de littérature portait sur la mobilisation associative dans le champ de la santé : l’épidémie de sida a vu des associations venir bousculer les modèles tels qu’ils existaient.
Beaucoup de travaux s’ancraient résolument dans une critique de la démocratie représentative fondée sur une représentation par les élus du peuple, et autour d’une question qui visait à qualifier de nouveaux savoirs qu’on essayait de positionner en concurrence, ou en complémentarité de ce qu’on appelle l’expertise scientifique.
Et ce sont notamment les travaux sur le VIH, mais aussi sur les maladies rares qui ont conduit des sociologues à installer la notion paradoxale, voire, peut-être contradictoire, de l’expertise profane. Au côté de l’expertise scientifique et technique, était promue cette notion d’expertise profane. Et ce terme, en lui-même, révélait le souhait, la volonté, en tout cas, d’essayer de donner des lettres de noblesse, à ce qui étaient, finalement, les savoirs des patients, les savoirs des usagers, les savoirs des citoyens.
L’enjeu est bien, à ce moment-là, de passer de cette démocratie représentative à une démocratie délibérative ou, en tout cas, essayer d’installer les termes d’un débat public pour faire émerger une expertise citoyenne sur des questions jusque-là considérées comme réservées aux savants : les questions d’ordre technologique, les questions d’environnement, d’aménagement du territoire et les questions de la santé.
On voit fleurir, à cette époque, des dispositifs qu’on appelle les jurys citoyens, les conférences citoyennes. On a eu, également, en France, toute une période où étaient organisés ces jurys citoyens. Il y a eu LE jury citoyen sur les OGM, qui avait conduit, d’ailleurs, à prononcer un moratoire sur la culture des OGM. Et puis, il y a eu la mobilisation de cette méthode, dans le cadre des États généraux de la santé, qui ont eu lieu en 98-99.
Ce qui est intéressant avec l’émergence de ce savoir, de cette expertise de nature différente, c’est qu’on n’est pas nécessairement, à ce moment-là, dans une recherche de consensus. On se situe davantage dans la nécessité de faire vivre ce point de vue, différent, alternatif et complémentaire à celui des experts, des professionnels et des élus. Et l’idée, c’est, en tout cas, de venir réinterroger les processus de décisions et, notamment, les processus de décisions politiques.
Ce mouvement est très fortement porté par les associations de malades. Il va, à un moment donné, s’exprimer sous la forme d’une nouvelle figure qu’on appelle le représentant d’usagers et va être très porté dans les médias, à l'agenda politique et par les associations de malades et de représentants d'usagers.
D’autres initiatives intéressantes, plus particulièrement celles portées par la santé communautaire, se développent et produisent des dispositifs de participation très aboutis. Mais à ce moment-là, la lumière n’est pas portée sur la santé communautaire, elle est plutôt portée sur ce combat associatif et sur cette nouvelle figure.
Le représentant d’usagers symbolise le droit à la participation. Il exerce lui-même ce droit, alors considéré comme droit collectif mais sa mission vise également à garantir le droit individuel à participer, c'est-à-dire le droit pour tout un chacun de faire les choix le concernant, dans ses choix de vie et dans ses choix sur sa santé. Vous remarquerez qu’à ce moment-là, nous sommes sur une approche par les droits.
Une critique du modèle
A peine ce modèle est-il installé qu’il est déjà critiqué et déjà largement réinterrogé et, notamment, un certain nombre de questions sont posées.
La première a trait à la représentativité : en quoi est-ce que ce représentant d’usagers est vraiment représentatif des usagers au nom duquel il participe ? Cette question révèle des confusions autour de ce qui serait une représentativité statistique, comme si un individu pouvait statistiquement représenter l’ensemble d’une population, que ce soit d’ailleurs un usager, un professionnel, ou un politique.
Cette question de la représentation révèle également des ambivalences sur la perception de la représentation au niveau national ou au niveau local. Il y a des figures nationales associatives qui s’expriment dans les colloques, qui s’expriment dans les médias et qui, finalement, représentent une certaine élite de la société. Et puis, il y a des représentants d’usagers locaux, qu’on va retrouver sur les territoires, qu’on va retrouver dans les organisations de santé et qui vont être considérés comme, finalement, ne représentant qu’eux-mêmes. C'est-à-dire qu’ils viennent avec des témoignages, ils viennent avec une expérience de vie, et pas une analyse politique du système. Ils n’ont pas cette vision nationale que nombre d’acteurs attendent d’un représentant d’usagers.
En réalité, cela dénote surtout une incompréhension sur ce que peut apporter le représentant d’usager et sur l’intérêt de confronter les organisations telles que pensées par les professionnels et la réalité de l’expérience des usagers du système de santé.
Enfin, en termes de représentativité, l’effectivité d’une représentation de certains publics fragiles est interrogée.
Comment est-ce qu’on peut représenter, faire porter la parole des personnes qui sont en situation de handicap, et notamment de handicap psychique, de ceux qui présentent des déficiences intellectuelles, de ceux qui ont des problèmes pour s’exprimer, pour communiquer : les personnes âgées, notamment celles qui vont être atteintes de la maladie d’Alzheimer et qui présentent des symptômes de démence, mais également, celles qui ne sont pas francophones ? Il en est de même pour les personnes qui sont dans des situations de dominés, de grande précarité sociale, les gens qui vivent à la rue, comment est-ce qu’on leur permet, à ces gens-là de s’exprimer ? Et en quoi ces représentants d’usagers peuvent aussi porter la voix de ces personnes ?
La seconde critique qui émerge est liée au fait que cette participation est tout de suite enfermée dans des espaces qui sont déconnectés de la vie réelle. Ça se passe dans des salles de réunion, ça se passe dans les établissements de santé, ça se passe à l’ARS, ça ne se passe pas dans les services où on soigne les personnes. Ça ne se passe pas forcément dans la consultation du médecin, dans la consultation infirmière, au plus près de là où vivent les gens. Et, finalement, cette participation a un impact symbolique très fort, mais, en termes d’impact sur les organisations et sur les pratiques, elle reste faible.
La troisième critique est relative à la difficulté de prise de parole des représentants des usagers dans les instances dans lesquels ils siègent. Beaucoup de représentants d’usagers continuent à rencontrer une difficulté persistante à prendre la parole, à s’exprimer, mais aussi à ce que cette parole soit entendue par leurs interlocuteurs, et encore plus, à ce qu’elle soit utilisée. Cela rejoint d’autres questionnements qui perdurent, sur la qualification de l’apport des usagers. Qu’apportent-ils ? Ils viennent témoigner de difficultés mais que fait-on de ces témoignages ? Eventuellement, ils arrivent avec des témoignages multiples, donc, sur des éléments plus solides, logiquement plus utilisables mais on reste sur des cadres de travail construits par les professionnels et avec des questions qui sont posées par les professionnels. Or, la matière qu’apportent les usagers ne vient pas pour répondre aux questions des professionnels. En fait, eux, ils arrivent avec d’autres questions que les professionnels ont, éventuellement, du mal à entendre. L’enjeu est alors de pouvoir faire bouger les cadres pour permettre cette rencontre.
Entre institutionnalisation et diversité de la participation
On se situe à ce moment-là, sur les enjeux du processus de légitimation des représentants d’usagers, et on voit bien qu’on arrive à un essoufflement du modèle.
Or, dans un premier temps, les réponses qui vont être apportées visent principalement à pousser encore plus loin ce modèle-là qui peut, parfois, paraître déjà un peu dépassé. On va pousser la logique et on va se dire : puisque ces représentants d’usagers n’arrivent pas à faire bouger les choses, on va, non plus les mettre dans des instances de consultation, mais dans des instances de décision.
Ce qui ne bouge pas toujours les choses.
Puisqu’ils n’arrivent pas à prendre la parole, et qu’ils n’arrivent pas à être entendus des professionnels, on va renforcer la formation des représentants d’usagers. Une fois qu’on parle de formation des représentants d’usagers, là, on ouvre des tas d’autres questions : on forme qui ? Qui forme ? On forme sur quoi ? On forme pour quoi faire ?
En parallèle, le mouvement associatif se renforce et s’institutionnalise. Le collectif inter associatif se structure et devient une association. Dans un premier temps, ce collectif, le CISS, garde le même nom mais évolue dans son statut pour recevoir des financements et multiplier les actions. Une nouvelle étape voit la transformation du CISS en France Assos Santé qui représente, aujourd’hui, un nombre important d’associations et représente un acteur national de premier plan. A chaque fois, le mouvement associatif s’institutionnalise un peu plus ce qui pose de nouvelles questions, notamment, sur sa capacité à porter vraiment la diversité des points de vue. J’interroge sur les risques de cette institutionnalisation en toute humilité. En effet, j’ai largement participé et je continue à promouvoir la représentation des usagers à tous les niveaux. Je reste convaincue de l’intérêt de la place des usagers dans les instances de décision. J’ai participé à la formation des représentants d’usagers ; j’ai participé au rapport de Claire Compagnon qui a, notamment, abouti à la création de France Assos Santé. Mais cette institutionnalisation et la forme de représentation qu’elle porte ne peut pas et ne doit pas constituer la seule forme de participation des usagers au système de santé.
En parallèle de cette institutionnalisation, de nombreuses autres formes émergent et viennent, de nouveau, bousculer ce modèle établi :
- Les associations de bénévoles montent en puissance. Les associations de bénévoles sont les petits frères des pauvres, les visiteurs de malades à l’hôpital… Ces associations ne sont pas des associations de malades, mais sont des associations d’accompagnement. Au début, elles ont refusé d’entrer dans la dynamique de la représentation d’usagers, ne se reconnaissant pas dans l’approche par les droits. Et en fait, elles arrivent avec une culture du cheminement avec les personnes, elles apportent d’autres éléments qui viennent enrichir ces lieux de participation et ces objectifs de participation.
- La notion d’auto représentant émerge dans le champ du handicap, en lien avec les concepts d’autodétermination. Je ne rentre pas dans les détails, mais ça dénote, à ce moment-là, la volonté des individus de se représenter eux-mêmes. Ces personnes ne veulent pas être, forcément, représentées par des associations, elles veulent prendre la parole, et être entendues directement.
- La figure du pair aidant s’impose aujourd’hui, bien qu’elle soit en réalité très ancienne. La pair aidance consiste à construire des relations d’entre-aide entre personnes qui vivent la même situation. Mais ce pair aidant, cette notion de pair aidance va se formaliser, elle se structure et elle bénéficie, aujourd’hui, d’une reconnaissance qui va même jusqu’à une reconnaissance professionnelle, puisqu’on a des pairs aidants qui sont formés et qui sont salariés de structures, pour accompagner les personnes. Et ce qui est intéressant, c’est leur positionnement. Elles peuvent être professionnelles, elles sont du côté des personnes qui sont accompagnées, et ça, c’est juste fondamental.
- La notion du patient partenaire nous arrive du Québec, avec l’idée qu’il faut sortir d’un modèle qui serait centré sur la personne et considérer que la personne est à la table des discussions, comme les autres. Cette notion du patient partenaire est intéressante, parce qu’elle se joue aussi à tous les niveaux du système : dans les soins, je suis partenaire de mon propre parcours de vie, de mon propre parcours de santé. Il y a des moments où je décide, des moments où je ne décide pas, mais, en tout cas, je suis considéré comme un interlocuteur à part entière. Elle se joue également dans l’organisation des soins, dans l’organisation de la santé, dans l’organisation du système, dans la formation, et dans la recherche.
- Et puis, une dernière figure que je citerai : le e-patient. Le e-patient, c’est le patient qu’on retrouve sur Internet. C’est celui qui agit sur les réseaux sociaux. Je pense à certaines personnalités comme Catherine Cerisey sur les questions de cancer du sein, qui porte une voix des patientes atteintes du cancer du sein vis-à-vis des institutions, vis-à-vis des professionnels, mais qui partage aussi avec ces mêmes patients, son expérience et l’expérience des uns et des autres. Mais c’est aussi l’expérience d’Yvanie Caillé et de l’association Renaloo, sur l’insuffisance rénale, qui a vraiment fait émerger une nouvelle voie. Alors, oui, les réseaux sociaux, c’est vecteur de fake news, mais pas seulement. Et si on pense participation, on ne va pas pouvoir penser participation, notamment, avec les jeunes générations, sans penser la mobilisation via les réseaux sociaux.
Qu’est-ce que ces nouvelles formes d’engagements nous apprennent ?
Elles nous apprennent qu’il y a une aspiration forte de la société à redonner une place à l’individu qui est directement concerné. Alors, il y a toute la question de l’environnement et de comment est-ce qu’on crée un environnement favorable pour permettre cette expression directe et l’encapacitation, c’est-à-dire comment on permet à chaque individu d’avoir les capacités de s’exprimer pour lui-même, mais aussi pour la communauté dans laquelle il vit.
Ces nouvelles formes d’engagements créent de nouveaux rapports avec les professionnels. Elles sont intéressantes parce qu’elles ne sont pas déconnectées dans la réalité. Quand on est sur la pair aidance ou sur l’autodétermination, ou sur le patient partenaire, ce sont des formes de participation qui viennent se construire dans l’action, dans l’activité même de santé, de prévention, de soin. On n’est pas dans un mouvement où on réfléchit, on discute, on pense, mais dans un mouvement où on agit et donc, on compagnonne entre professionnels et usagers. Et ça, c’est vecteur, beaucoup plus fortement, de changement de pratiques, parce que les professionnels découvrent dans leur pratique, ce que peuvent leur apporter les usagers et ça leur fait modifier leur conception de leur rôle et de l’efficacité de leurs travaux. Au total, c’est une participation qui se vit et qui s’expérimente.
Et puis, avec ces nouvelles formes d’engagements, on a une nouvelle approche de la production des savoirs, on s’extrait de la question de l’expertise profane pour aller vers les savoirs expérientiels. On valorise l’expérience de tout un chacun. Les savoirs expérientiels inscrivent l’égalité dans les rapports entre les professionnels et les usagers. Parce que les savoirs expérientiels, en réalité, tout le monde en a !
Les savoirs expérientiels déterminent la trajectoire des usagers, des habitants, des citoyens, mais elle détermine également la trajectoire des professionnels. Un professionnel qui soigne, un professionnel qui intervient, il le fait sur la base d’un certain nombre de savoirs théoriques, mais il le fait beaucoup sur la base de ses propres savoirs expérientiels. La vertu des savoirs expérientiels, c’est de remettre tout le monde à égalité.
Aujourd’hui, vous l’avez compris, on est dans des formes multiples d’engagements, avec un cadre mouvant, avec une multiplicité d’acteurs. Je ne suis pas en train de dire que tout ce qui est le mouvement associatif et la représentation des usagers, c’est fini, je suis en train de montrer qu’il faut inviter l’ensemble de ces modalités d’engagements à pouvoir exister et accepter que cette parole collective soit vraiment multiple. Il y a, presque plus, aujourd’hui, un enjeu de transfert de connaissances, de transfert de savoirs, entre les usagers eux-mêmes, mais des usagers vers les professionnels et des professionnels vers les usagers.
En guise de synthèse et de conclusion, qu’est-ce que j’aurais envie de partager ?
Je l’ai dit, on est sur une matière qui est mouvante, qui est toujours en évolution et toujours en construction. On a une évolution de la société qui tente de nouvelles modalités de participation. On est quand même sur des individus qui, aujourd’hui, ne veulent plus être représentés ; on l’a vu avec le mouvement des gilets jaunes. Les gens veulent s’exprimer directement. Il va falloir aussi penser la participation avec les réseaux sociaux, notamment avec les jeunes. On ne va pas attraper les jeunes en les invitant, le soir, après le travail, autour d’un café, à venir penser la participation dans les quartiers. C’est sur les réseaux sociaux que les jeunes construisent, aujourd’hui, les modalités d’engagements de demain.
Donc, il n’y a pas UN modèle, mais des dispositifs à réinventer constamment, en fonction des configurations qui sont à l’œuvre. Je pense que le plus important, aujourd’hui, ce sont les convictions qu’on peut porter. Il s’agit d’être vraiment convaincu de l’intérêt qu’il y a à entendre une voix qui soit différente de celle qu’on peut porter, et accepter d’être constamment réinterrogé sur ses propres convictions, sur ses propres perceptions.
La déclaration de Denver dont parlait tout à l’heure Pierre Lombrail, c’est : « Rien sur nous, sans nous ». Il faut accepter de se dire qu’on ne sait pas pour les autres, mais qu’on sait avec les autres. Et, finalement, c’est ce qui produit l’intelligence collective. L’intelligence collective, ce n’est pas la masse des gens qui viendraient discuter, mais c’est la diversité des personnes qu’on met autour de la table pour essayer de construire une manière commune de voir ensemble ; pas forcément consensuelle, mais en tout cas, un chemin qu’on peut partager.
Quelques repères qui me semblent, quand même, au bout de vingt ans, avoir toujours du sens, parce que tout bouge. Mais il y a quand même quelques points qui me semblent être des jalons qui aident à construire ce cheminement et qui, notamment, aident à construire un environnement favorable à la participation.
- Quand on veut participer, il faut accompagner les usagers, les habitants, les citoyens, pour les aider à se sentir dans cet environnement qui les autorise à prendre la parole.
- Il faut tout autant accompagner les professionnels. Et si on veut qu’ils puissent venir réinterroger constamment les pratiques et les organisations, il faut que les professionnels se sentent eux-mêmes sécurisés.
Donc, on accompagne les usagers, au sens large du terme, mais on accompagne également les professionnels. Et puis, on les accompagne d’autant plus qu’on est sur un enjeu de culture de la participation.
Ce qui m’a toujours frappée dans les travaux que j’ai pu mener, c’est que les organisations qui savent faire participer les usagers, qui savent laisser un espace à la participation des usagers, ce sont également des équipes qui, en général, font participer l’entièreté de leurs professionnels. Une équipe hospitalière qui ne sait pas entendre ce que l’aide-soignante a à dire, ne saura pas entendre ce que le patient a à dire. Donc, c’est vraiment une question de culture de la participation.
Autre point, c’est l’importance de l’accueil, du respect de la parole de l’autre, de la capacité à l’écouter, du respect de ce qu’il représente et de ce qu’il va avoir porté. Et là, je dirai, la participation, c’est constamment une leçon d’humilité. En fait, on ne sait jamais complètement. Et j’ai eu, moi, de nombreuses déconvenues. J’arrivais en ayant des convictions et, en général, à chaque fois qu’on a des certitudes, ça ne fonctionne pas et on se fait bousculer dans ses propres certitudes.
Si on est d’accord sur les objectifs qu’on veut poursuivre ensemble, le cheminement va se faire. Il y aura des virages, la route ne va pas être droite, mais si, au moins, on a une vision commune, on sait où on veut aller ensemble, c’est quand même beaucoup plus simple. Et c’est aussi, à ce moment-là, la possibilité de permettre aux gens de participer et puis, peut-être, de moins participer ; la non-participation reste un choix. Il s’agit de respecter le choix de participer à un moment puis de se retirer un peu et puis de pouvoir revenir après. Mais cette question de savoir où est-ce qu’on veut aller et d’être d’accord ensemble, c’est important. Et c’est important parce que c’est ce qui permet de construire la confiance. Et finalement, la participation fonctionne quand on est en confiance et qu’on a plaisir à se retrouver ensemble. Je suis sûre, dans toutes vos expériences, que là où vous avez le mieux construit ensemble et que là où la participation était la plus effective, c’est quand vous étiez contents de vous retrouver et de partager des moments en commun.
Il faut expérimenter parce que, finalement, l’expérimentation, ce n’est jamais un échec. On n’échoue pas en expérimentant de nouvelles modalités de participation. Ce qui est un échec, c’est quand on n’évalue pas ce qu’on a fait, qu’on n’en tire pas d’enseignement.
Un dernier point : une question que je me suis posé assez tôt, car j’ai travaillé sur des jurys citoyens, sur des maisons des usagers et sur des dispositifs de participation. Et, il y a un moment, toujours, où ça périclitait. Et je me disais : mais comment est-ce qu’on pérennise ces dispositifs de participation ? Comment on les installe dans la durée ?
Cette question m’a très longtemps taraudée, et j’en suis arrivée à la conclusion suivante : il n’y a aucun enjeu à la pérennisation d’un dispositif de participation parce que la participation reste vivante quand elle se réinvente constamment. Donc, ce n’est pas le dispositif qu’il faut pérenniser, c’est le réflexe de la participation. Elle porte en elle un enjeu de transformation sociale et donc, elle va constamment évoluer. Le souci de la participation est à relier à la capacité des collectifs à innover ensemble. C’est là où la participation a du sens. Et d’ailleurs, là où elle a été la plus forte, c’est quand on était sur des sujets problématiques. Ce n’est pas forcément dans un quotidien qu’elle s’établit le mieux, mais plutôt dans des contextes d’incertitude. Alors, on n’a pas été collectivement très bons sur les questions d’incertitude avec la covid, mais à l’inverse, au moment de l’épidémie du VIH, quand on n’avait aucune connaissance sur ce qu’était le VIH, que s’est construite cette question de la participation. Ça a été la même chose pour les maladies rares car au démarrage personne n’avait de connaissance.
Et pourquoi est-ce que, finalement, on la pose aussi sur la question des inégalités de santé ? Parce que ça fait trente ans qu’on travaille sur le sujet et qu’on n’a pas encore vraiment résolu la question des inégalités de santé. C’est pour ça qu’on a besoin de créer cette question de la participation en lien avec les sujets sur lesquels on n’a pas de réponses toutes faites. Et c’est bien « ensemble » qu’il faut construire nos réponses.