La littératie en santé mentale : un levier fondamental en faveur du bien-être des jeunes adultes
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La santé mentale des étudiants inquiète, mais un meilleur niveau de littératie en santé mentale (plus de connaissances, des informations fiables et la déstigmatisation de ce sujet tabou) peut prévenir les troubles mentaux et promouvoir le bien-être psychique de cette population à risque.
En quoi le développement de la littératie en santé joue un rôle dans la promotion de la santé mentale des jeunes ?
La littératie en santé mentale est la capacité de reconnaître et de comprendre les caractéristiques des troubles mentaux (symptômes, risques et causes), et quand et comment obtenir de l’aide et accéder à des services de soins [Jorm AF, 2000]. Elle englobe aussi la compréhension de comment obtenir et maintenir un bon état psychique (psychologie positive), ainsi que la réduction de la stigmatisation liée aux troubles mentaux [Kutcher S., Wei Y., Gilberds H., et al., 2016].
En partant de cette définition exhaustive, il est facile de saisir le rôle que la littératie en santé mentale joue dans la promotion de la santé. Un « bon niveau » de littératie en santé mentale implique de meilleurs comportements de santé et un bon usage des services de soins et de prévention. Ce « bon niveau » correspond à la capacité d’accéder aux informations en santé mentale, de les comprendre, de savoir en évaluer la validité et de les appliquer pour son bien-être ou pour la bonne santé de son entourage [Sørensen, K., Van den Broucke, S., Fullam, J., et al., 2012]. Cette « gestion de l’information » peut être apprise dès le plus jeune âge, en famille, à l’école, à l’université…
La littératie en santé mentale est tout particulièrement importante pour les jeunes adultes (18-24 ans) qui sont à risque élevé de troubles mentaux. En effet, le suicide est la deuxième cause de mortalité dans cette tranche d’âge et la plupart des problèmes de santé mentale peuvent être diagnostiqués avant l’âge de 25 ans [Kessler RC., Berglund P., Demler O., et al., 2005]. Sans un « bon niveau » de littératie en santé mentale, les jeunes ne peuvent pas être prêts à faire face aux premières difficultés de leur vie et aux premiers signaux de stress ou d’anxiété. Il est indispensable pour eux de pouvoir disposer des instruments nécessaires pour déceler un problème de santé mentale et l’affronter, mais aussi, dans le meilleur des cas, ils doivent être en mesure de savoir comment maintenir un bon état psychique. Connaître à quoi correspond une bonne hygiène de vie (dormir, manger, faire de l’activité physique… selon les besoins et les désirs de chacun) n’est pas si anodin. Des habitudes de vie saine sont un atout pour le développement personnel avec, comme effet positif à long terme, l’amélioration de la santé mentale : estime de soi accrue, résilience, épanouissement…
Avec une bonne littératie en santé mentale, un jeune peut émettre des jugements, prendre des décisions sur sa propre santé et appliquer les informations (correctes et fiables) concernant son bien-être psychique. Cela signifie également pour lui/elle un meilleur usage des services de soins (on contacte le bon service au bon moment, en étant aussi en mesure de savoir quand on peut résoudre nous-mêmes notre problème) et une simplification des parcours de santé, se traduisant par une prise en charge adéquate (si nécessaire), moins chronophage et moins coûteuse. Par ces exemples, le lien réciproque entre littératie en santé mentale est bien clarifié.
Pourriez-vous présenter quelques enseignements des recherches interventionnelles en cours consacrées à la littératie en santé mentale des étudiants ?
Dans le cadre de l’étude i-Share (Internet-based Students HeAlth Research Entreprise), plusieurs actions ont été conduites ou sont en cours pour améliorer la littératie en santé mentale des étudiants. Cohorte comptant plus de 20 000 étudiants francophones, i-Share est une plateforme qui permet de co-construire, tester et évaluer des interventions visant l’amélioration du bien-être de cette population spécifique. Une carte numérique affichant les services de santé mentale gratuits ou peu chers dans la métropole bordelaise [Montagni I., Tzourio C., 2018 ; Montagni I., Langlois E., Wittwer J. et al., 2017], une escape room sur le sujet de la dépression et une mini-série interactive toujours sur dépression et risque suicidaire sont parmi les interventions principales mises en place par l’équipe i-Share autour de la littératie en santé mentale. Conçues et réalisées avec les étudiants, et coordonnées par des internes et des chercheurs en santé publique, ces interventions ont fait l’objet de plusieurs évaluations (questionnaires de satisfaction, entretiens semi-dirigés, focus groupes) qui en ont montré l’efficacité en termes d’amélioration des connaissances sur la santé mentale. En particulier, la carte numérique a permis de rendre lisible aux étudiants de Bordeaux l’offre de soins en santé mentale dans leur ville. Et l’escape room et la mini-série interactive ont sensibilisé les étudiants à la reconnaissance des symptômes de la dépression, tout en essayant de déstigmatiser les troubles mentaux.
Grâce à ces recherches interventionnelles, nous avons pu constater le besoin d’informations sur la santé mentale des étudiants, qui ne savent pas vers quel service de santé se tourner ou comment gérer des situations de difficulté émotionnelle. Ces interventions fournissent aux étudiants les instruments nécessaires pour « faire le premier pas ». La connaissance (qui dérive de l’intégration d’une information de qualité) permet d’orienter ses propres actions, ce qui est un principe propre à l’éducation en général et à l’éducation en santé en particulier.
Une petite alerte : la littératie en santé mentale n’est pas une panacée, un « traitement préventif » pour tous les problèmes de santé mentale. Il s’agit plutôt d’un « médiateur », un facteur qui peut indirectement améliorer le bien-être psychique des individus en guidant leurs comportements. Nous ne savons pas si les étudiants ont vraiment consulté un psychologue après ces interventions ou si leur niveau de stress est diminué, mais nous sommes sûrs que leurs connaissances autour de la santé mentale ont augmenté. La santé mentale des étudiants inquiète, mais un meilleur niveau de littératie en santé mentale (plus de connaissances, des informations fiables et la déstigmatisation de ce sujet tabou) peut prévenir les troubles mentaux et promouvoir le bien-être psychique de cette population à risque.
En quoi des outils de littératie numérique contribuent-ils au développement de la littératie en santé mentale chez les jeunes ?
Deux des interventions conduites par l’équipe i-Share décrites ci-dessus, la carte numérique et la mini-série interactive, sont des outils de littératie numérique. L’environnement digital s’est montré particulièrement propice à l’accès et à l’utilisation de ces outils/interventions de la part des étudiants qui ont participé à nos recherches. En effet, le recours au numérique offre plusieurs avantages en termes de disponibilité et d’accessibilité de la ressource, de l’immédiateté des supports proposés, de leur caractère non stigmatisant et de leur coût relativement faible. Les étudiants ont l’habitude de surfer sur le net, de télécharger des applications, d’utiliser les réseaux sociaux etc., que ce soit pour leurs études (l’e-learning est de plus en plus employé à l’université) ou pour leur vie personnelle.
Proposer des sites web avec des informations de qualité révisées par des experts ou concevoir des jeux en ligne qui permettent d’apprendre de manière ludique des notions de santé mentale, sont des stratégies dont l’efficacité reste encore à prouver totalement, mais qui ont un potentiel de réussite indéniable auprès de ces publics [Montagni I., Tzourio C., Cousin T. et al., 2018]. Par contre, ces outils doivent correspondre aux besoins des étudiants et être « attractifs » pour cette tranche d’âge. Avant de se lancer dans la réalisation d’une nouvelle application mobile, par exemple, il faudrait en travailler l’apparence et l’ergonomie, tout en réfléchissant à une stratégie de communication et de marketing adaptée.
Le numérique peut jouer un rôle de premier rang dans le développement de la littératie en santé mentale des jeunes, mais seulement si ces deux impératifs sont pris en compte : la fiabilité des contenus (garantie par des institutions reconnues) [Jorm AF, 2000] ; et l’attractivité de la forme (garantie par une analyse des profils et des besoins des utilisateurs) [Kutcher S., Wei Y., Gilberds H., et al., 2016].
Documents utiles
- Le site i-share, étude sur la santé des étudiants
- Raconte-moi ta recherche, quand l’Ireps va à la rencontre des chercheurs
- Vidéo Un escape game à l'université de Bordeaux pour lutter contre la dépression des étudiants
- Mini-série interactive "Qu'aurais-tu fait à ma place ?"
- Rechercher et s’approprier l’information en santé mentale sur Internet : une étude qualitative auprès d’étudiants. Montagni I., Capelle A., Chalifour C. et al., 2019
Ressources pour aller plus loin
- Infographie sur les enjeux de la littératie en santé Promotion Santé IdF
- La santé mentale chez les étudiants : suivi d’une cohorte en première année d’université.
- Le monde des étudiants : entre précarité et souffrance. Dequire A-F. 2007
- Littératie en santé mentale : de quoi s’agit-il et pourquoi la promouvoir ? I. Montagni, Iresp
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