« Bouge ta santé à Clichy-sous-Bois »
Ce récit d'expérience est réalisé sur la base d’un entretien conduit en juin 2017 avec Céline Nossereau, responsable Service Santé à la Mutualité Française IdF, Loïc Russo, chef de projets à la Mutualité Française IdF et Zékya Ulmer, chargée de mission pilotage réseau à la Fédération nationale de la Mutualité Française (prevention@mutualité-idf.fr)
Principes de la démarche de capitalisation
Ce récit a été élaboré selon les principes de la démarche de « Capitalisation des expériences en promotion de la santé » (CAPS).
Cette expérimentation francilienne a croisé deux programmes de promotion de l’activité physique auprès des jeunes : « Bouge … une priorité pour ta santé » et la démarche ICAPS, sur un territoire choisi du fait de la prévalence de l’obésité sur ces publics, du manque d’infrastructures sportives et qui comprend plusieurs QPV. La clé du projet est une très forte dynamique partenariale, avec un pilotage pluri-structures mêlant des compétences complémentaires (promotion de la santé, méthodologie, connaissance du territoire, sport-santé). Le programme est constitué d’une myriade d’actions, afin de toucher divers déterminants de la santé, du point de vue des individus, de leur micro-environnement et des décisions politiques. Un protocole d’évaluation très complet a été mis en œuvre par un cabinet externe : diagnostic, évolution des comportements, évaluation de processus…
Intervention | « Bouge ta santé à Clichy-sous-Bois » |
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Porteur | Comité de pilotage constitué de la Mutualité Française Île-de-France, l’Atelier Santé Ville de Clichy-sous-Bois et le Comité départemental olympique de Seine-Saint-Denis |
Thématiques | Nutrition (alimentation et activité physique adaptée), Habitat et urbanisme, Parentalité |
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Population cible | Collégiens et élèves de primaire de Clichy-sous-Bois (1 école primaire + 3 collèges), parents, enfant en surpoids ou obésité, professionnels au contact des jeunes (éducateurs sportifs, professeurs d’EPS, autres enseignants…) |
Calendrier | Du 01/01/2008 au 31/12/2014 |
Milieu d'intervention | Milieu scolaire, Milieu sportif, Périscolaire, Plein air dans la Ville, Quartier prioritaire de la ville |
Territoire concerné | Ville de Clichy-sous-Bois, dont quartiers en Politique de la ville (QPV) |
Principaux partenaires | Agence régionale de santé IdF (ARS), DRJSCS IdF, Maison de la diététique pour tous, services municipaux des sports (éducateur sportif), Ecole municipale des sports, centres sociaux, clubs sportifs… |
Equipe sur le programme | Chef de projet Mutualité Française IDF (mi-temps), chef de projet CDOS93 (mi-temps), coordinateur ASV de Clichy-sous-Bois |
Objectifs |
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Sigles utiles :
- ASV : Atelier Santé Ville
- CDOS93 : Comité Départemental Olympique de Seine-Saint-Denis
- DRJSCS : Direction Régionale de la Jeunesse, des Sports et de la Cohésion Sociale
- EPS : Education Physique et Sportive
- ICAPS : Intervention auprès des Collèges centrés sur l’Activité Physique et la Sédentarité
- QPV : Quartier en Politique de la Ville
Contexte et enjeux
Ces programmes mis en place en 2008 par la Fédération nationale de la Mutualité Française sont basés sur deux constats principaux. D’une part du fait des taux de prévalence de l’obésité observés chez les jeunes, et d’autre part, suite à différentes réformes, le temps alloué à la pratique d’activité physique est de plus en plus réduit dans les établissements scolaires.
A partir de ces constats, différents programmes de promotion de l’activité physique auprès des jeunes ont vu le jour. Notamment le programme « Bouge … une priorité pour ta santé » développé par la Mutualité Française, mais également la démarche ICAPS « Intervention auprès des Collèges centrés sur l’Activité Physique et la Sédentarité » par l’Inpes.
L’intégration de ces deux démarches par la Mutualité Française IdF en 2012 a conduit à la mise en œuvre du projet « Bouge ta santé à Clichy-sous-Bois » (cf. schéma d’historique). Cette ville a été choisie par l’ARS et la Mutualité IdF du fait des spécificités de ce territoire : 45% de moins de 25 ans, besoins liés à l’obésité et à un faible niveau de condition physique, manque d’infrastructures d’activité physique, indice de développement humain IDH-2 à 0.23 (l’ARS IdF définit les territoires prioritaires sur la base d’un IDH-2 < 0.52), et également de l’existence d’un Atelier santé ville à Clichy.
Objectifs du programme « Bouge ta santé à Clichy-sous-Bois »
- Décloisonner les pratiques des acteurs locaux de l’activité physique, la santé, l’éducation, le social, en développant une dynamique partenariale au sein de la ville de Clichy-sous-Bois.
- Augmenter l’activité physique des jeunes clichois (primaire et collège) et promouvoir les habitudes alimentaires équilibrées.
- Renforcer leurs compétences psychosociales, afin de les inciter à devenir acteurs de leur santé par le biais de l’activité physique.
- Agir sur l’environnement des jeunes, que ce soit leur micro-environnement (communauté scolaire, associative, famille et pairs…) ou l’environnement communal (infrastructures, urbanisme, associations…).
- Pouvoir utiliser l’expérience pour implanter l’action dans d’autres communes ou territoires, en identifiant les critères de transférabilité.
Modalités d’action (selon les 5 domaines de la promotion de la santé - Charte d’Ottawa) :
Le schéma ci-dessous classe les actions développées dans le cadre du programme selon deux niveaux de lecture :
- selon les 5 axes de la promotion de la santé définis par la charte d’Ottawa
- selon les publics concernés par chacune des actions : bénéficiaires finaux (en vert) ou professionnels, élus, bénévoles (en jaune-orange).
Ce schéma d’actions concerne le projet conduit à Clichy-sous-Bois, et est non exhaustif tant les modalités ont été diversifiées (notamment concernant les aptitudes individuelles).
Quelques points notables du programme…
- Intégration du projet à Clichy-sous-Bois dans le programme national « Bouge … Une priorité pour ta santé » de la Mutualité Française, avec un tronc commun et des adaptations selon le contexte.
- programme national dont l’un des piliers est le multi-partenariat, avec la Mutualité Française comme pivot, ressource pour les outils d’évaluation et modalités, et conseil via les équipes santé et prévention ; et au moins deux autres partenaires locaux. Sur le plan national, le choix des partenaires s’avère hétérogène d’un projet à l’autre : Union nationale sport scolaire (UNSS), ASV, CDOS, Conseil général ou régional, rectorat, mutuelle, Réseau de prévention et de prise en charge de l'obésité pédiatrique (REPOP), universités, Direction régionale en charge de l'alimentation (DRIAAF), Instances régionales d'éducation et de promotion de la santé (IREPS), centres sociaux, clubs sportifs….
- ’agissant du pilotage du programme par les unions régionales de la Mutualité Française, différentes modalités sont possibles : soit en tant que coordinateurs du réseau de partenaires, soit par un rôle d’accompagnateur d’un autre promoteur : « transférer de l’expérience, apporter notre expertise en méthodologie de projet, aider à rechercher un financement… ».
- actions en direction des collégiens en priorité, la Mutualité constatant qu’« en général c’est vers la classe de 5ème que l’on voit qu’il y a un décrochage », et intégration d’autres âges si le porteur de projet le souhaite (souvent le primaire). Une réflexion est par ailleurs toujours menée sur les établissements à toucher en priorité (notamment quartiers en QPV ?), le nombre de classes...
- Programme mené à Clichy-sous-Bois également basé sur la méthode ICAPS, visant à travailler sur tous les déterminants de l’activité physique (d’après Booth et al. 2001), faisant de ce programme un projet de promotion de la santé et pas uniquement d’éducation pour la santé. Plusieurs éléments illustrent cette méthode à Clichy-sous-Bois :
- actions sur les déterminants individuels, par la réalisation de bilans de condition physique et le développement des compétences psychosociales.
Ex. adaptation des activités proposées par l’Ecole municipale des sports, pour toucher les enfants les plus éloignés de la pratique (surpoids, obésité, handicap…), parcours santé … - actions sur le micro-environnement avec des liens créés entre chaque milieu de vie (famille, école, EMS, centres sociaux, clubs…) : « plus de cohérence entre ce qui se passe à l’école et en-dehors ».
Ex. apprentissage du vélo à des mamans pour favoriser le lien parent/enfant et réduire les inégalités ; formation des professionnels au contact des jeunes (éducateurs sportifs, professeurs d’EPS, autres enseignants…), « pour arriver à créer une culture commune de promotion du sport-santé » ; actions tenant compte des diversités culturelles, ex. sensibilisation au cricket (très prisé chez les populations d’origine indienne) « permettant de créer une dynamique interculturelle ». - actions sur les déterminants sociétaux et politiques, encourageant une politique publique saine.
Ex. recrutement par la ville d’un éducateur en Activité physique adaptée et santé (APAS) ; attentes identifiées vis-à-vis du vélo et constat du manque de pistes cyclables, information relayée en Mairie via l’ASV → nouvelles pistes cyclables créées.
- actions sur les déterminants individuels, par la réalisation de bilans de condition physique et le développement des compétences psychosociales.
- Pilotage du projet au travers d’un double comité à Clichy : comité de pilotage institutionnel permettant de valider politiquement et scientifiquement les décisions (Conseil général, Assurance maladie, Direction départementale de la cohésion sociale, Direction départementale de l’Education nationale, DRJSCS IdF, rectorat, ARS IdF, UNSS) ; et équipe projet traitant les aspects opérationnels (les 3 promoteurs + Maison de la diététique pour tous + association de femmes). Impliquer les populations bénéficiaires au groupe projet (ici les mères) est l’un des axes du programme ‘Bouge’.
- Protocole d’évaluation du programme ‘Bouge’ très complet et à toutes les étapes (ex. critères de transférabilité), axé notamment sur une longue phase de diagnostic (a minima 18 mois) et sur des outils et concepts validés scientifiquement.
- avec un diagnostic comprenant en général des tests de conditions physiques, un diagnostic auprès des acteurs locaux, le recueil des attentes des chefs d’établissement, des questionnaires socio-cognitif (variables socio-cognitives, niveau d’activité physique, condition physique perçue et estime de soi ; théorie du comportement planifié de Ajzen)... L’objectif est de faire remonter les besoins par publics et quartiers, pour déterminer des plans d’actions personnalisés.
- à Clichy, une évaluation conduite par un cabinet extérieur, avec des résultats très encourageants. Par exemple, à l’issue d’une année scolaire d’activité, les jeunes déclarent pratiquer une activité physique intense 3,4 fois par semaine contre 2,4 auparavant et on constate une baisse d’exposition aux écrans. Et plus globalement, une synergie a été créée entre les partenaires locaux alors qu’elle était inexistante auparavant (objectif majeur du programme).
Comment transposer au mieux ce programme ?
Freins identifiés par la structure, et comment les éviter ou les réduire
Difficultés liées au fait que ce soit un programme national, avec la difficile maîtrise mais aussi les adaptations inévitables que cela occasionne | ► | Tronc commun pour que le programme garde son identité, référent Mutualité Française et souplesse pour adapter le programme au contexte, ressources et spécificités locales, au timing souhaité par les porteurs de projet |
Manque de soutien politique dans certaines villes, pouvant être un frein majeur sur cette démarche socio-écologique | ► | Engager ce projet plutôt dans des villes avec une municipalité déjà à l’écoute (ex. Contrat local de santé avec un axe nutrition, structures et/ou actions dans la ville sur l’activité physique…), sensibiliser les élus et les impliquer dans le projet… |
Budget nécessaire très important, avec un montant difficile à estimer car fortement dépendant du diagnostic (environ 100 000€ pour Clichy) : « c’est un beau projet mais il faut aussi beaucoup de moyens » | ► | Multiplier le nombre de partenaires et de financeurs, et baser le programme autant sur la valorisation de l’existant (peu onéreux) que sur la création de nouvelles actions |
Du fait d’un portage et d’une mise en œuvre partenariaux (« 3 cultures différentes » pour Clichy), difficultés parfois en termes de validation et de déploiement opérationnel | ► | Proposer une organisation simple, l’identification d’un seul interlocuteur par les partenaires « il faut qu’il y ait un pilote », et des outils de pilotage |
Projet non basé sur un accord avec l’Education nationale (ambition de la Mutualité Française, mais non abouti à ce jour), ce qui peut compliquer l’intervention dans les établissements | ► | Partenariat avec les rectorats (autorisations…), et travail avec les chefs d’établissement et les enseignants, afin d’identifier l’équipe éducative souhaitant être moteur du projet dans les classes (objectif : aller au-delà des profs d’EPS) |
Evaluation n’ayant pas permis de mesurer d’impact à moyen ou long terme (seulement un an de recul), ni l’impact éventuel sur les inégalités de santé | ► | Se tourner vers le CDOS93 qui poursuit le projet à Clichy-sous-Bois, possibilité de mener une évaluation d’impact après plusieurs années |
Leviers de réussite pour la structure
- Un triptyque de partenaires source de connaissances et compétences diversifiées et complémentaires : Mutualité Française pour ses connaissances en promotion de la santé et méthodologie de projet, CDOS93 sur l’activité physique et le sport-santé, ASV-Clichy pour ses connaissances du territoire et du fonctionnement de la commune. La mise en œuvre partenariale permet ainsi une bonne « répartition des rôles » et « crée une synergie locale et plus de communication entre différents services ». C’est primordial d’avoir comme promoteur au moins un acteur local, pour peser politiquement et faciliter l’identification du projet et sa mise en œuvre.
- Des ressources humaines importantes, ce projet nécessitant coordination, mise en œuvre et suivi sur l’ensemble des étapes (pour Clichy, 2 personnes à mi-temps et une partie du temps du coordinateur ASV, sans compter les intervenants) : « c’est un travail de longue haleine, ne pas être trop ambitieux ».
- La démarche socio-écologique, permettant d’agir sur l’ensemble des déterminants et donc d’être plus efficace « 3 piliers : l’enfant avec ses connaissances et son comportement ; l’aspect social avec les pairs, les personnes de la ville… ; l’infrastructure et l’environnement extérieur ».
- Un diagnostic conséquent amenant à des plans d’action adaptés, chaque programme ‘Bouge’ étant unique : capitalisation sur l’existant (ex. valorisation et/ou adaptation de l’environnement de proximité) et nouvelles actions spécifiques. « Il y a beaucoup de communication dans ce projet ICAPS, car c’est faire connaitre aux parents qu’il y a des choses qui existent : c’est du marketing social. ».
- Des évaluations menées scientifiquement par un opérateur extérieur, ayant permis de pointer les difficultés et disfonctionnements, et ainsi définir un programme reconnu scientifiquement (y compris à l’international) et qui a fait l’objet de nombreuses publications. Par ailleurs, incitation de la Mutualité Française à travailler avec les universités « ça crée de la crédibilité et permet de pérenniser l’action ».
- Article dans la revue Santé publique
- Récit d'expérience par la Fabrique territoires santé
- Promouvoir l'activité physique des jeunes Élaborer et développer un projet de type ICAPS
- MOOC "Promouvoir l'activité physique et limiter la sédentarité chez les jeunes"
- Dossier "Activité physique et santé" du ministère des Solidarités et de la Santé