La participation dans la construction du Projet régional de Santé 2018 - 2022 (PRS2)
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Associer les habitants des quartiers politique de la ville (QPV) à l’élaboration du PRS2 partait donc du principe que c’est en améliorant la santé des personnes les plus éloignées de la prévention et du système de soin qu’on améliorait la santé de tous.
LaFédé regroupe 20 associations de médiation sociale et culturelle implantées dans cinq départements d’Île-de-France. Elle a pour missions de promouvoir et développer la qualification et la professionnalisation des médiatrices et médiateurs sociaux, de renforcer le soutien aux associations, expérimenter et accroître la représentativité de ces associations auprès d’instances politiques en vue d’obtenir la reconnaissance de la profession.
De quelle manière et pour quelle raison les habitants franciliens ont participé à l'élaboration du projet régional de santé 2018-2022 (PRS2) ?
Pour la rédaction du Projet Régional de Santé 2018-2022, l’Agence Régionale de Santé (ARS) a décidé d’associer des habitants de quartiers politique de la ville à la définition des priorités. Il s’agissait d’un travail novateur étant donné que c’est la première fois que des habitants des quartiers étaient associés à l’élaboration d’un PRS. Jusqu’à présent, c’était plutôt l’affaire des professionnels de la santé, voire des associations d’usagers ou de malades. L’ARS souhaitait travailler avec des habitants afin d’avoir une autre approche, de pouvoir s’appuyer sur leurs vécus et leurs représentations de la santé et de ses déterminants afin de dégager des pistes pour améliorer la santé de tous. Il était important de travailler avec des habitants de quartiers populaires car on sait que les inégalités socioéconomiques et les inégalités de santé sont intimement liées. Dans les quartiers populaires, les conditions de vies défavorisées peuvent avoir un impact sur la santé, les habitants souffrent d’une moins bonne accessibilité aux équipements sociaux et médico-sociaux et le taux de maladie chronique est particulièrement élevé. Associer les habitants des quartiers politique de la ville (QPV) à l’élaboration du PRS2 partait donc du principe que c’est en améliorant la santé des personnes les plus éloignées de la prévention et du système de soin qu’on améliorait la santé de tous.
Afin de pouvoir associer les habitants des QPV à l’élaboration du PRS, l’ARS s’est appuyée sur la Fédération des associations de médiation sociale et culturelle d’Ile-de-France (LaFédé). Huit associations membres de LaFédé [1] ont chacune mobilisé un groupe composé d’une dizaine d’habitants. Chaque groupe d’habitants s’est réuni deux fois au niveau local. La chargée de développement de LaFédé et les médiatrices des associations mobilisées animaient le groupe. Lors de la première réunion, il s’agissait de lister les éléments qui, selon les habitants, avaient une influence positive ou négative sur leur santé ou sur celle des autres habitants du quartier. Lors de la seconde réunion, il s’agissait d’approfondir ce diagnostic et d’essayer de dégager des premières pistes d’actions. Toutes les séances étaient enregistrées. Suite à ces réunions locales, une journée de travail a été organisée à Pantin, journée à laquelle l’ensemble des participants était convié afin de mettre en commun les réflexions et de pouvoir échanger entre les groupes des différentes villes. Une rencontre a ensuite été organisée avec la Conférence régionale de la santé et de l’autonomie (CRSA). Une vingtaine d’habitants, les médiatrices et LaFédé ont présenté les principales conclusions du travail engagé et ont pu échanger dessus avec des membres de la CRSA. La publication de LaFédé « Paroles d’habitantes et d’habitants sur la santé » reprend l’essentiel de ce travail avec les habitants. C’est à partir des enregistrements des réunions au niveau local qu’ont pu être extraits les verbatims du livret. La publication s’articule autour de huit thématiques qui étaient particulièrement prégnantes dans ce qu’ont rapporté les habitants : le cadre de vie et le logement ; le travail ; la santé mentale ; l’information sur la santé ; les personnes âgées ; l’accès aux soins ; l’alimentation ; l’activité physique. Il est intéressant de voir que sans y être incités par les animateurs, les habitants ont souligné l’importance capitale des conditions de vie sur la santé.
Quels rôles ont joué les médiatrices sociales et culturelles des associations de LaFédé dans le recueil de la parole des habitants ?
Les associations membres de LaFédé sont des associations qui travaillent dans la proximité. Elles sont souvent implantées sur un quartier, parfois sur deux ou trois. Les médiateurs et médiatrices accompagnent les habitants de ces quartiers dans les démarches de la vie quotidienne : accès aux droits, lien entre la famille et l’école, lien entre la PMI, les centres municipaux de santé ou le médecin et l’habitant… Le médiateur va mettre la personne accompagnée en position de confiance pour qu’elle se sente capable d’entreprendre des démarches et comprenne ses interlocuteurs. Souvent, des incompréhensions liées à différents facteurs font que la relation entre un habitant et un professionnel ou une administration peut être coupée ou conflictuelle. Ces incompréhensions peuvent découler d’une différence de langue mais aussi de systèmes de représentations et de références, d’inégalités matérielles d’une personne à l’autre, de manières de s’exprimer (gestes, attitudes) qui n’ont pas la même signification, de l’utilisation d’un langage professionnel peu accessible ou encore d’une difficulté à percevoir la manière dont un service est organisé. Ces incompréhensions ne sont pas toujours exprimées clairement et les deux protagonistes n’ont pas nécessairement conscience de ne pas se comprendre. Cela montre tout l’intérêt d’avoir un médiateur en position de tiers pour permettre de lever ces incompréhensions. En plus des accompagnements individuels, les associations organisent sur le quartier des activités collectives, souvent liées à la santé, support à la médiation.
Dans le cadre du projet visant à associer les habitants à l’élaboration du PRS, les médiateurs et médiatrices ont eu un premier rôle de mobilisation. Grâce à la confiance tissée au quotidien avec les habitants, ils ont pu les convaincre de l’intérêt de participer au projet. Les médiateurs organisaient les réunions afin que celles-ci soient conviviales. Il était important que les habitants passent un moment agréable et soient satisfaits des échanges au sein du groupe afin qu’ils continuent de participer au projet alors qu’ils savaient que leurs problématiques personnelles n’allaient pas être résolues malgré leur participation à ce dispositif. Enfin, le médiateur ou la médiatrice permettait que la parole soit plus fluide en facilitant la compréhension entre les personnes présentes. Ils pouvaient également relancer les habitants sur certains sujets quand ils avaient connaissance de problématiques importantes sur le quartier qui n’avaient pas encore été abordées.
Aujourd’hui, quelles sont les suites données aux travaux réalisés par laFédé ?
Parmi les propositions émises par les habitants, l’ARS en a inclus certaines dans le PRS. Sur d’autres sujets, l’ARS a seulement indiqué qu’elle ferait des plaidoyers car les problématiques soulevées ne relevaient pas directement de ses compétences comme par exemple autour des problèmes liés au logement. Pour les habitants, le logement représente pourtant une des priorités sur lesquelles agir pour améliorer la santé (aussi bien mentale que physique) dans les quartiers.
Aujourd’hui, le partenariat entre LaFédé et l’ARS se poursuit. Suite à la participation des habitants à l’élaboration du PRS2, l’ARS a proposé à LaFédé de participer à une recherche-action émancipatrice portant sur la participation des habitants à la construction d’actions d’information en santé. Lors du travail autour du PRS, il s’était avéré que les habitants accordaient une plus grande confiance en l’information de proximité (donnée par le médecin, les associations, la PMI…) qu’en les campagnes informatives nationales. Les habitants disaient également recevoir beaucoup d’informations mais que celles-ci étaient parfois contradictoires entre elles et ne prenaient pas suffisamment en compte leurs besoins et conditions de vie. L’idée de la recherche-action émancipatrice est alors de montrer en quoi l’implication des habitants dans la construction d’actions d’informations de proximité en santé rendent celles-ci plus efficaces et plus pertinentes. En 2019, dans le cadre de la rédaction du protocole de la recherche-action, cinq associations de LaFédé accompagnées par Régis Cortéséro et Guillaume Coti, des ateliers Spinoza, ont réuni des groupes d’habitants afin de réfléchir à l’information en santé et proposer chacun une action à monter sur le quartier. Les cinq projets d’actions proposés par les habitants dans le cadre de la rédaction du protocole sont : un projet de coopérative alimentaire pour accéder à une alimentation saine et abordable couplée à de l’information nutritionnelle ; l’organisation de groupes d’auto-support autour des dépistages et bilan de santé notamment pour baisser les peurs liées aux examens ; la création d’une application pour smartphone en différentes langues pour informer des médecins ouverts à proximité et pour délivrer des expressions médicales et anatomiques de base ; un projet autour des discriminations afin d’améliorer les relations entre médecins et patients sur le quartier ; l’organisation de campagnes thématiques locales portées par les habitants délivrant à la fois de l’information et des moyens matériels pour la mettre en pratique (accès sur place au dépistage, à des soins…). Ces cinq actions et leur évaluation seront le cœur de la recherche-action émancipatrice proprement dite et seront montées par les habitants et les associations sur la seconde partie de 2020 et en 2021.
La crise épidémique liée au coronavirus a en effet retardé le démarrage des actions étant donné qu’il n’était pas possible de réunir les habitants, mais elle a également montré l’importance de la proximité : en gardant contact, via le téléphone, avec les personnes qu’elles avaient l’habitude de suivre, les médiateurs et médiatrices leur permettaient d’être soutenues en cette période angoissante et de pouvoir confier leurs questions et doutes sur l’épidémie. La recherche-action va désormais reprendre et s’adapter au contexte actuel en réinterrogeant la manière dont les habitants ont vécu le confinement et l’épidémie. En effet, plusieurs constats et hypothèses qui ont permis de construire les actions de notre recherche-action ont également joué un rôle durant la crise du coronavirus : l’exigence d’une information fiable et claire pour mieux distinguer les vraies ou fausses informations circulant sur le virus, l’importance de ne pas recevoir des informations contradictoires, la nécessité d’informations utilisables car adaptées aux modes de vie et aux conditions matérielles des personnes, le frein que représente la peur suscitée par les dépistages, ou encore l’importance d’informer les personnes sur leurs droits et sur les dispositifs mis en place, notamment sur les dispositifs médicaux ouverts…
Les premières réunions avec les habitants pour monter les actions d’informations en santé définies dans le protocole vont donc s’appuyer sur l’expérience commune que représente la crise du coronavirus pour voir ce qui selon eux a fonctionné ou non dans l’information délivrée durant l’épidémie. Ces éléments positifs ou négatifs vont alors être pris en compte dans la construction de leurs propres actions d’information en santé. Il est d’autant plus intéressant de travailler sur ces questions aujourd’hui, alors que nous venons justement de voir toute l’importance et la complexité de l’information dans le domaine de la santé !
Bibliographie
Bibliographie de l'interview et ressources pour aller plus loin
Dossier Participation des habitants-usagers-citoyens
Notes:
- [1] . Il s’agit de l’ARIFA à Clichy-sous-Bois ; l’Association Communauté Santé Bien Être (ACSBE) à Saint-Denis ; l’Association des adultes-relais médiateurs et médiatrices interculturels (ARMMI) à Drancy ; l’Association des femmes médiatrices sociales et culturelles de Pantin (AFMSCP) ; Médiation Culture et Vie à Rosny-sous-Bois ; Lieu Ecoute Accueil (LEA) à Montreuil ; Espace 19 à Paris 19ème ; l’Association des femmes-relais et médiateurs interculturels à Champigny-sur-Marne.