La participation doit être vue comme un droit subjectif pour les citoyens. Ils conservent la liberté de choisir d’exercer ou non ce droit. Mais pour que ce choix soit réel, éclairé, il est important que la participation soit traduite en obligation de moyen pour les porteurs de projet, qu’ils soient des professionnels, des associatifs, des politiques.
La participation des habitants/ usagers/ citoyens est un pilier de la promotion de la santé. Pour la suite du texte, nous emploierons le terme de citoyen pour résumer l’ensemble de ces figures. Au-delà des principes démocratiques, la participation rend un pouvoir d’agir individuel et collectif aux populations, elle est reconnue comme étant un moyen d’améliorer l’état de santé des populations [1] .
Aujourd’hui, la nécessité de participation des citoyens est reconnue par tous, pour autant des questions multiples continuent de se poser, montrant la difficulté concrète de mise en œuvre et de pérennisation des dispositifs de participation. Autrement dit, si la question du pourquoi faire participer les citoyens semble résolue, la question du comment reste omniprésente.
A l’articulation entre le pourquoi et le comment subsistent quelques questions, parmi lesquelles : la participation est-elle un droit ? un devoir ? une obligation ? Ces questions peuvent paraitre théoriques et conceptuelles, en réalité, elles ont un impact direct sur la manière dont va être pensée et organisée la participation. C’est dans cette perspective concrète que l’on va poursuivre nos réflexions. Nous ferons un premier tour d’horizon de ces trois termes avant d’approfondir la réflexion sur l’articulation entre d’une part droit et obligation de résultats, d’autre part entre droit et obligation de moyens.
Aidez-nous à y voir clair – La participation des citoyens est-elle un droit ? un devoir ? une obligation ?
Droit, devoir, obligation : des contradictions possibles
La participation est un droit consacré par des textes : charte, loi [2] … C’est également un droit reconnu implicitement par de nombreux professionnels, régulateurs, financeurs, qui font de la participation des citoyens une condition sine qua non de financement des projets. Le droit à la participation s’inscrit dans la vision aujourd’hui promue de l’usager acteur de sa santé et sujet autonome.
C’est un droit subjectif qui nécessite d’être exercé par ses détenteurs. Cela implique que les citoyens doivent pouvoir choisir de participer ou de ne pas participer et choisir leur degré de participation. Résumer la participation à cette seule notion, expose au risque que son non-recours ouvre la possibilité pour les professionnels et politiques de s’en affranchir sans qu’ils s’interrogent réellement sur l’origine de ce non-recours, y compris sur leur propre responsabilité. Dans les faits, il est à craindre que ce droit à participer reste théorique : qu’il ne soit pas exercé car il est incompris et difficilement accessible pour la population.
En faire un devoir s’avère contradictoire avec la reconnaissance du droit à la participation, car cela nierait la non-participation comme étant un choix possible. Par ailleurs, assez classiquement, on lie les droits et les devoirs, sous-entendu que l’exercice des droits serait conditionné au remplissage de ses devoirs. C’est ce qu’on entend régulièrement de la part des professionnels : « oui les usagers ont des droits mais ils ont également des devoirs ». Cette vision trouve son origine dans la relation adulte- enfants : combien de fois un enfant ou adolescent revendiquant un droit s’est-il entendu dire « tu connais bien tes droits mais qu’en est-il de tes devoirs ? ». Derrière cette notion de devoir se profile une approche moralisante qui parait peu opératoire au regard du sujet traité. Ainsi, la relation d’asymétrie, alors mise en exergue, est peu compatible avec une approche mature de la citoyenneté.
S’il n’est pas souhaitable que la participation soit alors considérée comme un devoir, peut-on pour autant écarter la notion d’obligation ? La différence entre devoir et obligation est souvent source de confusion, l’une se réfère à la morale et l‘autre aux textes. Pourtant, contrairement au devoir, l’obligation découle d’une démarche de conventionnement ou de contractualisation préalable et implicite. Elle sous-entend une idée de consentement, contrairement au devoir qui s’impose à tous.
Cependant faire de la participation une obligation interroge sur qui s’exerce le poids de la contrainte ? Les usagers ? Les politiques ? Les professionnels ? Il nous semble qu’à l’instar du devoir, une obligation de participation qui s’exercerait sur les usagers serait contraire au droit à la non-participation. L’obligation s’exprime davantage envers les professionnels/politique dans le cadre conventionnel qui les lie à la population concernée : aborder la participation sous l’angle de l’obligation permet en effet de décaler le propos et d’aller sur le cadre d’intervention et sur la responsabilité partagée entre les détenteurs du droit et l’environnement (professionnels, politiques, territoires…). Reste la question de la nature de cette obligation : une obligation de résultats ou de moyens ?
Attention donc à la possible injonction à la participation. Pouvez-vous développer ?
L’injonction de participation : entre négation du droit et obligation de résultat ?
La première difficulté s’origine dans le cadre non stabilisé de la notion de participation, permettant alors toutes les interprétations. Les travaux théoriques ont construit des échelles définissant des degrés différents de participation. Certaines comme celle de Arnstein [3] positionne le premier échelon comme celui de la manipulation, d’autres comme celle de l’IAP2[4] démarrent avec le niveau d’information. Dans ces cas-là, les premiers échelons positionnent les professionnels/ politiques du côté de ceux qui gardent le pouvoir. Dans ce contexte, le droit à la participation n’est pas effectif. Ce droit commence à s’exercer uniquement lorsqu’il y a un échange permettant un impact sur les décisions à construire : la consultation, la concertation, la collaboration/co-construction. Selon l’échelon retenu, le partage des décisions et des pouvoirs s’organise différemment. Dans certains cas, cela peut aller jusqu’à la délégation : le pouvoir de décision change de main.
Les acteurs se retrouvant autour d’un projet ont des projections et des attentes différentes qui si elles ne sont pas explicitées dès le départ peuvent produire des incompréhensions, déceptions et mettre en échec le processus de participation. Il s’agit alors dès le départ de construire un cadre commun, discuté et partagé. Le niveau de participation attendu est ainsi défini mais peut être révisé à l’aune des aspirations individuelles ou collectives et des évolutions du projet.
L’injonction peut être d’aller au plus près de la co-construction. Pour autant, les personnes peuvent ne pas souhaiter aller aussi loin dans la participation, voire même ne veulent pas participer. Si l’absence de participation d’une personne ou d’une communauté doit conduire les promoteurs d’un projet à s’interroger sur les motifs du refus et organiser les modalités de « l’aller vers », il est tout aussi important qu’ils acceptent le choix de ne pas participer. C’est la raison pour laquelle la participation ne peut pas relever d’une obligation de résultats. Obnubilés par le résultat, les acteurs d’un projet peuvent omettre le fait que le chemin pour y parvenir est en soi constructif de la participation. L’obligation de résultats conforte le pouvoir chez les professionnels qui, se voyant imposer cet objectif, l’érigent en norme opposable aux citoyens. Plus qu’une obligation de résultat, la participation doit être un objectif commun aux professionnels et aux usagers, partagés en amont et constitutif du cadre d’intervention.
Vous décalez donc le propos. L’obligation devient donc celle faite aux promoteurs du projet ?
La participation : une obligation de moyens
Aussi, la participation relève davantage d’une obligation de moyens. L’enjeu est de promouvoir la participation, y compris auprès des personnes les plus éloignées du système de santé et de celles ne se sentant pas légitimes pour le faire. Autrement dit, la participation doit être systématiquement recherchée de manière universelle et faire l’objet d’une réflexion spécifique sur les modalités d’accompagnement à la participation. Il s’agit de prendre conscience du changement de paradigme attendu.
Les processus de participation ne sont naturels pour personne et doivent être accompagnés. C’est à cette seule condition, qu’on s’assurera que la participation et le degré de participation choisi ou la non-participation relève bien d’un choix éclairé, assumé individuellement ou collectivement et adapté dans le temps. La participation oblige l’ensemble des acteurs à sortir de leur zone de confort, entendre les citoyens à chaque étape, pour que les décisions prises sur les moyens et les objectifs intermédiaires soient appropriés. Cela passe par une approche décloisonnée, où chaque acteur accepte d’élargir son horizon pour contribuer à la hauteur de ses responsabilités mais de manière articulée avec les autres, où chacun partage une connaissance des spécificités et des besoins du territoire.
Plus encore, il s’agit de redonner à chacun un statut à égalité permettant une expression et une reconnaissance des savoirs des uns et des autres. Cela passe par un processus de légitimation de la parole profane. En effet, dans la construction de projet, la parole des professionnels est considérée comme légitime a priori. A l’inverse, celle du citoyen est souvent interrogée par les professionnels ou par les personnes directement concernées. Or il existe des méthodes de mise en discussion de ces savoirs issus de l’expériences, comme celle d’ATD Quart Monde[5] , qui permettent une mise à égalité de ces savoirs et de fait une découverte mutuelle des savoirs des autres. Cette mise en commun des savoirs de chacun permet alors l’élaboration d’un nouveau socle de connaissance partagé. Ce faisant, ce processus construit le passage de connaissances individuelles à une connaissance collective, réassure les individus dans leurs compétences et fonde ainsi la légitimité de chacun, notamment des citoyens, à participer au projet. L’organisation de cette mise en dialogue des savoirs est fondamentale et constitue l’obligation de moyen principal[6] .
D’autres éléments vont conditionner la réussite du processus de participation : l’obligation d’assurer la neutralité de l’espace, d’assurer une communication régulière, claire et accessible à tous et d’être attentif aux conditions matérielles facilitant la participation.
Enfin, la responsabilité relève non seulement des porteurs de projets mais également des acteurs du territoire et des politiques locales. Par la connaissance des territoires, de leur spécificité, des besoins des populations, par la capacité à mettre en lien des acteurs qui s’ignorent, par la mise à disposition de moyens logistiques, financiers, les acteurs politiques sont incontournables pour faciliter la mise en œuvre d’un processus participatif et de sa pérennisation. Leur implication peut-être également un gage de sérieux sur le projet et de reconnaissance, voire de valorisation des personnes engagées, d’autant que, le lien avec des processus de décision plus large est également une promesse d’impact et un facteur de légitimation.
En conclusion, sur quoi souhaitez-vous insister ?
Nous avons montré que la participation doit être vue comme un droit subjectif pour les citoyens. Ils conservent la liberté de choisir d’exercer ou non ce droit. Mais pour que ce choix soit réel, éclairé, il est important que la participation soit traduite en obligation de moyen pour les porteurs de projet, qu’ils soient des professionnels, des associatifs, des politiques.
A cette condition, le consentement tacite éclairé du citoyen à participer librement à des projets de promotion en santé prend toute sa place et s’inscrit dans la démarche éthique selon les quatre principes qui la sous-tendent :
- le respect de l’autonomie du sujet : son droit à la participation est favorisée.
- la bienfaisance : cette participation est accompagnée pour qu’elle soit réelle. Elle est une obligation de moyens.
- la non-malfaisance : les personnes ne sont pas mise en difficultés par une injonction de participation non voulue par les personnes : il n’y a pas d’obligation de résultats.
- l’équité : la participation repose sur une reconnaissance des savoirs de tous et leur articulation. Elle nécessite une dynamique « d’aller vers » pour favoriser la participation des plus éloignés.
Bibliographie
Bibliographie de l'interview et ressources pour aller plus loin
Dossier Participation des habitants-usagers-citoyens
Notes:
- [1] . La conférence internationale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur les soins de santé primaires qui s’est tenue à Alma-Ata en 1978
- [2] . charte d’Alma Ata 1978, Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé 1986, Lois du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, Loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, Loi du 11 février 2005 relative à l’égalité des droits et des chances, à la participation et à la citoyenneté des personnes handicapées, Loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 24 février 2014, Loi du 26 janvier 2016 de modernisation du système de santé
- [3] . Arnstein, S. R. « A Ladder of Citizen Participation », Journal of American Institute of Planners, 1969, vol. 35, no 4, p. 216-224
- [4] . Spectrum de la participation du public de l’ Association Internationale pour la Participation Publique (IAP2)
- [5] . Le Croisement Des Savoirs Et Des Pratiques - Quand Des Personnes En Situation De Pauvreté, Des Universitaires Et Des Professionnels Pensent Et Se Forment Ensemble, édition de l’atelier, 2009, 703p.
- [6] . Associons nos savoirs