« Une démarche participative doit aboutir à un consensus »
Ce qui fait l’intérêt, la richesse et qui caractérise la participation et les démarches communautaires en santé repose sur la pluralité des points de vue, des analyses et des expériences. C’est grâce et à partir de ces différences qu’une question de santé peut être explorée dans toutes ses dimensions.
La multisubjectivité permet alors d’observer, d’appréhender la réalité dans sa complexité. Rechercher le consensus serait alors réduire cette réalité au plus petit dénominateur commun, effaçant cette complexité et niant des points de vue parfois irréconciliables. Ne pas vouloir de consensus à tout prix ne veut pas dire qu’il n’est pas recherché ou possible à certains moments.
La co-décision et l’engagement des parties prenantes nécessitent tout de même de trouver des espaces communs pour agir. Le défi est alors de s’assurer que ce consensus est, autant que faire se peut, le résultat d’un débat et d’un processus décisionnel équilibrés où chacun a pu faire entendre sa voix.
« La participation est toujours efficace »
La question de l’efficacité des dispositifs participatifs, c’est-à-dire de tout ce qui est entrepris favorisant l’expression, la délibération, le positionnement, la prise de décision et/ou la gestion collective des affaires publiques, mérite notre attention pour trois raisons :
D’abord parce qu’elle est souvent posée aux professionnels de terrain souhaitant favoriser l’implication des « habitants » ou des « usagers », par des décideurs ou des élus. En effet, si la « participation » est largement utilisée comme rhétorique politique ou comme argument de communication dans la gestion territoriale, elle est aussi, dans la réalité des pratiques, largement questionnée, autour des interrogations triviales : « faire participer, mais pourquoi faire ? Et est-ce que cela ne va pas " mettre le bazar " sur le territoire ? » ou encore « tout ce temps dédié à la participation, est-ce bien utile ? ».
Ensuite parce qu’on ne peut que constater, dans toutes les politiques publiques, l’étendue et la diversité des pratiques participatives, qui vont, pour simplifier, de l’enquête publique environnementale aux groupes de gestion « habitants » dans les dispositifs d’habitats participatifs, en passant par les ateliers citoyens ou les conférences citoyennes. Ce foisonnement, quelle que soit la qualité de ce qui est fait, repose sur des financements publics. La question de leur efficacité n’en est que plus légitime.
Enfin, un troisième argument plaide en faveur d’un réel travail autour de cette question de l’efficacité des dispositifs participatifs : l’évaluation permet aux acteurs de conforter leurs pratiques professionnelles. Evaluer en termes d’efficacité la « participation » revient alors à se donner des arguments pour la mettre en pratique, la valoriser et améliorer les manières de faire des professionnels.
Or lorsque l’on met en place des évaluations des dispositifs participatifs, il est essentiel de les détailler selon au moins trois logiques :
- Une première logique par « objectif » : on regarde ainsi si les dispositifs participatifs ont atteint leurs objectifs, posés au départ des projets et/ou des actions.
- Une deuxième logique par ce qu’on peut appeler « logique d’action » : on tente de décrire précisément ce qui se passe au sein de chaque dispositif de participation, les techniques d’animation utilisées, les manières de construire les groupes, le « recrutement » des participants, les moyens de communication entre les gens, les façons d’installer - ou pas - de la convivialité, les manières de prendre des décisions au sein d’un groupe, la répartition des rôles, etc.
- Une troisième logique par résultats, ou effets produits/induits sur les participants des dispositifs participatifs, notamment en termes d’évolutions des représentations sociales, de renforcement des compétences de compréhension sur un thème donné, de délibération et d’argumentation, de prise de décision, ou sur des registres plus pratiques.
C’est seulement à l’aune de ce travail évaluatif, combinant ces trois logiques, que « la participation » pourra être jugée, dans certaines conditions de mise en place, comme efficace. Elle ne l’est donc pas toujours.
« Les usagers ont toujours raison »
Dire qu’encourager la participation c’est affirmer que les usagers ont toujours raison revient souvent à caricaturer les démarches participatives. La participation se résumerait à écouter, et à faire « ce que veulent les habitants ». Une façon habile de suspecter les démarches participatives d’une forme de populisme qui mettrait à l’écart toute forme d’expertise autre que celle des usagers ?
La participation en promotion de la santé n’a de sens que si elle s’accompagne d’un processus partagé entre les habitants-usagers-citoyens et d’autres acteurs. C’est bien ce qui en fait la richesse, l’efficacité mais aussi la difficulté. Il ne s’agit pas de savoir qui a raison, ou qui a toujours raison, mais de construire une dynamique où la place et la voix des usagers est légitime. Ce qui n’est pas du tout la même chose.
Offrir une place légitime à une parole ne veut pas dire que cette parole est « juste ». Mais qu’elle est le reflet d’une expérience, d’une manière de penser et d’être avec laquelle nous devons réfléchir et composer.
« La participation est toujours utile »
La « participation » appartient à cette série de termes largement dépolitisés, et pour tout dire assez creux, que l’on retrouve désormais parmi les mots-clés incontournables de l’action publique ou des responsables politiques. Il est donc important de garder en tête la plasticité du terme et l’évolution de ses usages.
La participation ne suit pas une trajectoire linéaire (il y en aurait de plus en plus) mais fait surtout l’objet de disputes : il existe des désaccords profonds, mais souvent discrets, sur les publics (qui participe ?), la forme (comment ?), et les objectifs (pourquoi faire ?) des dispositifs participatifs.
Dans le secteur de la santé ou du médico-social, ces désaccords peuvent être particulièrement marqués : face à des injonctions à toujours plus de « participation » des usagers, les professionnels peuvent avoir le sentiment d’une perte d’autonomie, d’une labellisation de leurs liens aux usagers, devenant des évaluateurs potentiels.
De même, l’idée de « faire participer » certains publics peut être une formulation polie d’un objectif comptable, consistant à responsabiliser les individus pour les pousser à prendre en charge eux-mêmes tout ou partie de leurs pathologies. Le débat n’est donc pas de savoir s’il faut, oui ou non, promouvoir la participation, mais s’interroger sur la forme et le sens de celle-ci.
« Il faut une représentativité des habitants-usagers-citoyens »
Est-ce vraiment une bonne question ? Est-ce vraiment une question ? Et si c’était tout simplement une question sans objet ?
- Tout d’abord parce que cela nécessiterait de se mettre d’accord sur les critères choisis de cette représentativité : représentatif de quoi ?
- Ensuite parce que d’un simple point de vue pratique, cela reviendrait à ce que toute démarche participative s’appuie sur un « échantillonnage » que seuls quelques experts seraient en mesure de construire.
- Enfin, et surtout, parce que ce qui fait l’intérêt de la participation réside dans l’engagement volontaire des individus, dans la singularité de leur expérience et la reconnaissance de celle-ci et dans la diversité des points de vue.
La « représentativité » apparaitrait alors comme l’assurance que ces expériences singulières seraient en fait « généralisables » et plus légitimes au sens de plus « vraies » ?
La question de la représentativité a à voir avec la recherche de la preuve, d’une « vérité » impossible à appréhender. C’est ignorer aussi que l’accumulation de ces expériences singulières, bien que non représentatives au sens statistique du terme, finit par constituer un corpus de connaissances pertinent. S’arc-bouter sur cette exigence c’est tout simplement faire des démarches participatives ce qu’elles ne sont pas.
Une manière habile de les décrédibiliser ? Et ce d’autant plus que la question n’est posée que du point de vue des habitants. S’interroge-t-on de la même manière à propos de la participation des professionnels ?