Rapport à l’alimentation et aux normes

Aurélie Maurice

Il est important, dans le cadre de programmes d’éducation alimentaire, de prendre en compte ces rapports au corps, à la santé et à l’alimentation, pour sortir d’une vision centrée sur le système de pensée des classes moyennes et supérieures.

Aurélie Maurice
Maître de conférences en Sciences de l’éducation au sein du LEPS (Laboratoire Educations et Pratiques de Santé), équipe d’accueil de l’Université Paris 13, EA3412, Sorbonne Paris Cité.

 

Comment expliquer la prévalence du surpoids et de l’obésité en milieu populaire ?

Nous entendons ici par « Milieu populaire » les catégories constituées notamment des ouvriers, employés et sans emploi.

La plus forte prévalence du surpoids et de l’obésité en milieu populaire s’explique par des pratiques alimentaires différentes selon les milieux sociaux. Ces pratiques sont différentes en termes de lieu d’approvisionnement et de pratiques d’approvisionnement, en termes d’aliments consommés et enfin en termes d’organisation des repas.

Pour les lieux d’achats, les personnes de milieu populaire se rendent davantage dans des grandes surfaces de type hard discount et sont davantage sensibles aux offres promotionnelles et aux marques, et moins sensibles à l’origine et à la composition des produits. Ce qui peut les orienter vers des aliments de moindre qualité nutritionnelle.

Concernant les aliments consommés, ces personnes consomment davantage de féculents, notamment de pommes de terre, moins de fruits et légumes, plus de viennoiseries, de charcuteries, de quiches, de pizzas, d’aliments préparés et de sodas que les familles des classes moyennes et supérieures.

Concernant l’organisation des repas, on trouve plus de personnes qui vont préparer plusieurs plats pour chacun des membres de la famille et qui vont manger à des endroits différents et à des horaires différents et aussi, parfois, devant la télévision. L’ensemble de ces pratiques permet d’expliquer pourquoi la corpulence est supérieure à celle d’autres milieux.

Quel lien entre représentations du corps et de la santé, et pratiques alimentaires ?

Le choix d’aliments plus caloriques en milieu populaire peut s’expliquer de deux manières. Tout d’abord par un rapport au corps. Le corps est vu comme un outil de travail qui doit être suffisamment alimenté pour bien fonctionner. De l’autre côté par un rapport à l’alimentation comme espace de liberté et de plaisir.

Les métiers demandant un effort physique plus important sont davantage occupés par des familles de milieu populaire. Et même si la catégorie des ouvriers tend à se réduire de nos jours, cette vision du corps comme outil de travail qui nécessite une énergie importante, se maintient.

Deuxièmement, les classes populaires qui se trouvent dans des conditions socio-économiques très contraignantes que ce soit en termes de temps disponible, d’accès aux loisirs ou de budget, trouvent à travers l’alimentation un espace de liberté et une opportunité de se faire plaisir et de faire plaisir à leurs enfants. D’autant plus pour les familles qui viennent de pays dans lesquels elles ont connu la famine, pouvoir subvenir aux besoins de leurs enfants est une réelle source de satisfaction. Et pour ces familles, un enfant qui est bien en chair est un enfant en bonne santé.

Le seuil de tolérance par rapport au surpoids est largement supérieur à celui qui prévaut au sein des classes moyennes et supérieures.

Quelle perception des recommandations nutritionnelles par les différentes catégories sociales ?

La vision préventive de la santé, qui vise à prévenir l’apparition de maladies en adoptant des comportements sains, prévaut en milieu supérieur. En milieu populaire, les personnes ont davantage une vision curative de la santé. C’est-à-dire qu’elles ne se préoccupent de leur santé qu’à partir du moment où elles ont une maladie qui se déclare.

Ainsi, concernant l’alimentation, les familles de classes moyennes et supérieures respectent les recommandations, alors qu’en milieu populaire les familles n’y voient pas trop d’intérêt tant qu’elles ne sont pas en surpoids.

Les personnes peuvent avoir une réaction critique par rapport aux messages comme le message 5 fruits et légumes par jours. Elles se sentent culpabilisées, stigmatisées et il leur manque des solutions pour respecter ces messages-là. D’autres encore plus précaires se sentent indifférentes par rapport à ces messages du fait du grand éloignement qu’elles ont avec le système de pensée des promoteurs de santé.

Il est important, dans le cadre de programmes d’éducation alimentaire, de prendre en compte ces rapports au corps, à la santé et à l’alimentation, pour sortir d’une vision centrée sur le système de pensée des classes moyennes et supérieures.