Travailler avec les professionnels au développement et au renforcement de l'empowerment des patients
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Nous constatons que l’engagement utile et la valeur ajoutée des patients du Pôle sont essentiels pour que les patients ne soient effectivement plus perçus comme objets d’un soin prodigué mais bien comme effecteurs aux côtés des soignants.
Le Pôle de Ressource Ile-de-France en Education Thérapeutique du patient a été créé en 2013 par des acteurs de terrain, et est soutenu par l’Agence Régionale de Santé Ile-de-France, pour aider les professionnels de santé, les patients mais aussi les chercheurs et les institutionnels à coopérer entre eux pour co-construire des solutions durables et accessibles sur le territoire régional. En position d’expertise et médiatrice, il facilite la création d’environnements et espaces favorables à leur appropriation par les professionnels et les associations de patients avec une recherche d’équité, et participe à la réduction des inégalités sociales de santé.
Selon vous, comment a évolué la reconnaissance de la parole des patients dans le système de soin ?
Une récente tribune parue dans le Figaro daté du 21 septembre 2020 traduit assez bien les raisons de faire dans ce domaine. Elle rappelle utilement que la légitimité d’un accompagnement formel par les pairs est maintenant établie. Ce type d’accompagnement « contribue à mieux cerner les attentes, les besoins et les pouvoirs d’agir des patients ». Il a débuté en particulier dans le champ de la santé mentale puis s’est étendu dans le domaine de l’éducation thérapeutique du patient. Cette légitimité est d’ailleurs si bien reconnue que des patients-enseignants participent aujourd’hui à la formation de professionnels de santé ; cette pratique est d’ailleurs maintenant encouragée par la Conférence des doyens de Faculté et par l’Académie de médecine. Par ailleurs, certains patients ont maintenant un rôle prédominant dans des projets de recherche et sont considérés comme co-chercheurs.
Le fondement de cette évolution repose sur la reconnaissance de l’expérience individuelle et des compétences utiles que les patients ont acquis au cours de leur vie et qui sont complémentaires des savoirs académiques et des savoirs d’expérience des praticiens. Ces compétences s’appuient sur une expérience individuelle mais aussi des savoirs issus de pratiques collectives. Ces acquis permettent aux patients d’intervenir auprès de leurs pairs ou auprès de professionnels.
De ce fait, l’enjeu est moins de « reconnaître la parole du patient » qui peut certes être entendue comme un préalable, mais de considérer les personnes vivant avec une maladie chronique, et au-delà les usagers du système de santé, comme des partenaires de soins et de travail qui peuvent contribuer à l’amélioration du système de santé. Ce travail collaboratif doit être envisagé non seulement au niveau macro, entre les organisations nationales et régionales de santé et les mouvements associatifs, mais aussi au niveau meso, entre les établissements de santé et médico-sociaux et les mouvements associatifs et bien entendu au niveau micro entre les professionnels de santé et les patients, leurs associations et plus largement les usagers. Il constitue un champ renouvelé de la démocratie sanitaire.
Cela suppose, que chaque organisation mette en œuvre des processus de travail adaptés qui répondent à ces objectifs. Si les acteurs précités ont pu intégrer, avec plus ou moins d’acuité d’ailleurs, les préceptes de la loi du 4 mars 2002 sur le terrain des droits individuels et collectifs des patients et usagers, la tache reste immense pour que le travail collaboratif soit effectif.
Le Pôle de Ressources en Education Thérapeutique du Patient Ile-de-France s’attache à cela quand des équipes de soin demandent un appui et un accompagnement dans la mise en œuvre de projets d’éducation thérapeutique.
Pour répondre à ces enjeux, que mettez-vous en œuvre au Pôle ressources ETP Ile-de-France ? (principes de vos actions, types d’action …)
D’abord, le Pôle intervient dans le cadre de sollicitations. C’est un acte de volonté qui est exprimé par les équipes elles-mêmes. Ce sont des équipes qui travaillent dans des structures pluri-professionnelles (centres ou maison de santé, réseaux des soins), ou des services hospitaliers, ou dans des milieux médico sociaux, mais aussi des professionnels libéraux plus ou moins regroupés ou enfin des associations de patients. Quelques soient les thématiques médicales ou sociales, leur point commun est de chercher à améliorer leur démarche d’ETP pour en travailler le sens, l’efficience et être au plus proche des besoins des personnes. Elles expriment souvent le souhait d’inclure un usager dans leur démarche d’ETP ; elles ont d’ailleurs régulièrement un-e candidat-e, faisant parti de leur « cohorte », membre d’une association de patient ou non, qu’elles ont d’une certaine manière choisie, avec lequel ou laquelle elles ont pu entamer un premier travail.
Dans ce contexte, le Pôle a une démarche inter-médiatrice dite de tercéisation. Il crée un temps de travail dans un espace tiers afin que les membres d’une équipe puissent collectivement clarifier leur demande et définir avec les membres du Pôle des thématiques de travail qui feront l’objet de séances d’appui. Le Pôle ne se conçoit pas comme un prestataire de service ou d’un produit fini, son rôle n’est pas de livrer des programmes d’ETP ou de proximité clé en main aux structures qui en font la demande, mais d’appuyer ces structures dans le processus d’identification de leurs attentes, des valeurs qui les motivent, de leurs moyens, des conditions de réalisation dont elles disposent et par là, la création de solutions adaptées à leurs exigences dans leur contexte. Le Pôle se met donc à l’écoute d’une demande, s’acculture au contexte dans lequel elle s’inscrit et s’attèle à faire émerger chez la structure les idées qui composeront la solution.
Il s’agit là d’un travail d’appui fondé sur une méthode structurée qui vise à faciliter les transformations des pratiques d’ETP. Il s’agit d’abord d’identifier collectivement les valeurs du soin, les principes qui fondent la démarche d’ETP de l’équipe projet, en croisant les positions des membres qui la composent dans la diversité des points de vue et selon la spécialité professionnelle de chacun. Ensuite, en s’appuyant sur les pratiques existantes et les attentes de l’équipe, il s’agit d’entrainer, en suivant une démarche participative, ses membres à co-construire les sessions d’éducation thérapeutique, les mettre en œuvre et les évaluer. Il est à souligner que la perspective patient est intégrée tout au long de la démarche.
Les interventions du Pôle sont toujours réalisées en co-animation professionnel – patient. Cette co-animation incluant la « perspective patient » aide les membres des équipes à percevoir la vision interne que les patients ont de leur vie, de leur maladie et de ses implications dans leur environnement, de leur temporalité, et aussi des moyens qu’ils mettent en place spontanément pour pallier leurs difficultés. C’est sans doute ici, que la complémentarité patient-professionnel de l’équipe du Pôle est la plus significative pour faire « tricoter » les perspectives soignantes et patients du soin. Si la maladie s’impose à une personne et qu’elle peut jusqu’à un certain point et pendant un certain temps l’envahir, et implique des besoins auxquels il faut répondre, il reste qu’il faut aider le patient à identifier ses besoins mais surtout à s’appuyer sur les ressources qu’il a pu développer. Le patient a souvent des connaissances importantes sur sa maladie, liées à son expérience du « vivre avec » et l’éducation thérapeutique permet simplement de mobiliser ce savoir, au bon moment. L’ETP n’est alors plus simplement un apprentissage sur des savoirs techniques mais une réelle valorisation de ce que le patient sait déjà et ce sur quoi il peut bâtir une vie avec la maladie. Le rôle du patient intégré dans l’équipe en tant que patient intervenant, devient ici crucial pour guider l’équipe dans une démarche d’ETP vivante et qui prend tout son sens car elle s’inscrit dans le quotidien du patient et dans un progrès continue. La démarche ETP est un moteur de l’empowerment du patient.
Pour des équipes souvent focalisées sur les résultats et sur des enjeux plus quantitatifs que qualitatifs, poser la perspective patients dans leur travail, leur permet de prendre un recul profond sur ce qu’ils font, d’adapter leur pratique et mettre en œuvre des actions d’éducation thérapeutique renouvelées fondées à la fois sur les besoins éducatifs et les ressources des personnes. Ce travail prend un sens important dans leur démarche professionnelle.
Lorsque vous intervenez, que constatez-vous comme prise de conscience des professionnels ?
La force des animateurs - patients du Pôle ETP est de provoquer chez les professionnels du soin un effet révélateur sur la réalité de tous les jours de la vie avec une maladie chronique, sur les implications médicales et psychosociales et le coût personnel des ajustements permanents dans les loisirs comme au travail. Elle renforce la perception que les patients ont une expérience qu’il convient de valoriser et sur laquelle ils peuvent s’appuyer dans leur démarche d’ETP. Enfin, s’ajoute la prise de conscience qu’un patient intervenant en tant que membre du projet, peut concrètement les aider à co-concevoir, co-animer et co-évaluer leur programme d’ETP. Un travail collaboratif peut alors s’initier entre eux, fondé sur la complémentarité des savoirs et des expertises : les experts de la maladie et les experts de la vie avec la maladie peuvent se rencontrer.
Les professionnels de santé, libéraux ou non, en ville ou à l’hôpital, engagés dans l’enseignement médical, dans la formation continue ou encore dans le compagnonnage de jeunes confrères, sont plus sensibles à une vision du soin renouvelée. Les prises de conscience sont sans doute plus aisées quand une démarche personnelle réflexive d’évaluation de ses propres pratiques de soin appuie une quête du sens du soin et de son effectivité pour les patients dans leur vie quotidienne. Mais, nous constatons que l’engagement utile et la valeur ajoutée des patients du Pôle sont essentiels pour que les patients ne soient effectivement plus perçus comme objets d’un soin prodigué mais bien comme effecteurs aux côtés des soignants. Cette confrontation est nécessaire pour changer la perspective, permettre de positionner ses pratiques autrement et imaginer des futures collaborations : travailler en interdisciplinarité, solliciter l’intervention de patient à ses côtés et enfin rechercher des coopérations sur son territoire d’exercice.
Cette compréhension de la complexité de la vie avec une maladie chronique et des apprentissages utiles pour gagner en autonomie en santé pousse les soignants à aller vers ceux qui sont dans les mêmes propositions de valeurs et à identifier sur un territoire des partenaires et des pairs permettant de ne plus faire face seul à la complexité de l’accompagnement des patients et de leur proche. En faisant ce choix, en considérant que ce n’est pas simplement une priorité mais que c’est une opportunité, les professionnels peuvent s’organiser, se donner le temps et la disponibilité nécessaire pour intégrer les pratiques de partenariat dans leur exercice professionnel.
La démarche du Pôle permet d’envisager une redéfinition des pratiques éducatives et de leurs finalités : l’encapacitation des personnes c’est à dire l’accompagnement du patient dans la (re)-découverte de son pouvoir d’agir. Venir en appui pour que les professionnels puissent s’engager dans cette pratique renouvelée de l’ETP, c’est la mission qui a été donnée au Pôle de ressources ETP Ile de France.
Bibliographie
Bibliographie de l'interview et ressources pour aller plus loin