Capitalisation d'expérience Programme CPS et jeu « L'Île aux Mystères »

Sigles utiles :

• ANPAA : Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie
• ARS : Agence régionale de santé
• CPS : compétences psychosociales

Afin de faire référence aux facteurs d'efficacité des programmes de développement des CPS avancées par Béatrice Lamboy, Docteur en psychologique, les facteurs sont indiqués avec des textes MAJUSCULES et gras.

Contexte et enjeux

L’association Espace19 regroupe 3 centres sociaux et culturels du 19ème arrondissement de Paris (Cambrai, Riquet et Ourcq) avec : accueils, petite enfance, et équipes spécialisées dans l’accompagnement scolaire, les loisirs éducatifs pour les jeunes, le soutien à la parentalité, l’ouverture culturelle, etc.

Le Pôle transversal Santé & médiation de l’Espace 19 a pour mission de mettre en place des actions de prévention en santé auprès de tous les publics des trois centres sociaux et culturels, au travers d’une approche globale en promotion de la santé. L’approche développée s’appuie sur les compétences multiples des équipes et bénévoles (métiers divers, plurilinguisme…). Notamment, un lien est réalisé entre les actions menées auprès des enfants et des jeunes et celles conduites auprès de leurs parents afin de créer un environnement favorable. « C’est un accompagnement global de la famille » perçu comme nécessaire du fait des problématiques rencontrées par les enfants du quartier : grandes difficultés scolaires, conflits et relations tendues avec les familles et les adultes en général, « enfants qui arrivent avec des bagages qui sont des fois très lourds à gérer ».

De l’élaboration à l’édition du jeu « L’île aux mystères » : outil de développement des compétences psychosociales

Afin de les aider dans leurs missions, plusieurs salariés et bénévoles d’Espace19 ont reçu pendant plusieurs années une formation de l’ANPAA 75 (Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie1 ) sur la thématique des compétences psychosociales (CPS).

Ensuite, afin de travailler directement les CPS des enfants, le projet de création d’un jeu coopératif a été initié en 2015 par l’animateur-coordinateur de l’Espace19 Cambrai, en lien avec l’animatrice de prévention de l’ANPAA 75. L’un des principes d’action portés par l’Espace19 est en effet l’utilisation du jeu comme outil ludique et coopératif d’intervention.

La création du jeu s’est effectuée en plusieurs étapes :

• Au cours de l’année scolaire 2015/2016, l’Espace19 Cambrai a sollicité l’ANPAA pour co-animer 6 séances, avec pour finalité la création d’un jeu coopératif. Les publics visés sont les enfants inscrits à l’accompagnement à la scolarité, bénéficiant également d’une ouverture culturelle (CM1 et CM2). A la fin des séances, le jeu n’a finalement pas été édité, du fait de difficultés à trouver des financements suffisants.
• L’année scolaire suivante, grâce au financement du Pôle Santé & médiation, le projet a pu être repris avec un autre groupe d’enfants (élargissement de la cible pour toucher les enfants plus tôt : CP à CM2). Une fois le jeu inventé par les enfants et animateurs, une graphiste a créé les supports (jeu de plateau, cartes, visuels…) d’une version « professionnelle » et deux exemplaires ont été édités (pour l’Espace19 et l’ANPAA).

L’intégration du jeu dans un programme global de développement des CPS

Depuis la rentrée 2017, la thématique des CPS a été abordée de manière plus large au sein des centres Espace19 :

• Le Pôle Santé & médiation a élaboré un programme global de développement des CPS et de gestion des conflits, sur 6 séances dans le cadre de l’ouverture culturelle. Le programme est basé sur l’outil Graine de médiateurs, le visionnage du film Vice-Versa et surtout  l’utilisation du jeu « L’île aux mystères » comme « un bilan de tout ce que les enfants ont pu apprendre ». Il est par ailleurs adapté dans chaque centre, selon les problématiques identifiées pour chaque public.
• Une « culture » autour des CPS s’est développée progressivement dans les trois centres, par l’ensemble des équipes et au-delà des séances dédiées : éducateurs sportifs, animateurs théâtre, arts plastiques, soutien à la parentalité, etc. L’objectif est ainsi de développer les CPS de tous les enfants bénéficiaires des centres, en s’appuyant aussi sur les parents pour permettre un environnement favorable au développement des enfants.  

Objectifs du programme CPS, incluant le jeu « L’île aux mystères »

• Développer les compétences psychosociales des enfants : s’exprimer sur ses émotions et apprendre à les gérer, encourager l’écoute et la coopération, développer l’esprit critique ...
• Apprendre aux enfants à gérer les conflits, entre eux et avec les adultes
• Faire le lien entre le développement des CPS des enfants et le soutien à la parentalité, afin de faciliter la communication et l’écoute dans les relations familiales
• Sensibiliser, former et accompagner les professionnels de toutes les structures d’Espace19 à la culture des compétences psychosociales, et à l’intégration dans leurs pratiques

Modalités d’action (selon les 5 domaines de la promotion de la santé - Charte d’Ottawa) :

Le schéma ci-dessous classe les actions développées dans le cadre du programme selon deux niveaux de lecture :

• selon les 5 axes de la promotion de la santé définis par la Charte d’Ottawa
• selon les publics concernés par chacune des actions : bénéficiaires finaux (en vert), équipes de l’Espace19 (en jaune-orange) et parents (en gris)

Les compétences psychosociales abordées au cours du programme

Quelques points notables du programme CPS et du jeu « L’île aux mystères »

• Travail collaboratif entre plusieurs structures et équipes internes, visant à développer « une culture commune » pour tout l’Espace 19 : partage de compétences, d’expertises, de connaissances du public et de façons de travailler.
• Collaboration mise en place grâce à des rôles dédiés à chaque acteur :

• Lien avec les parents, au travers d’animations collectives familles - soutien à la parentalité :  
  • Pour les parents d’enfants inscrits à l’accompagnement à la scolarité : réunions régulières (début d’année et chaque fin de trimestre) afin de présenter les différentes séquences, la notion de compétences psychosociales, la création et l’utilisation du jeu, etc. « Ils n’en revenaient pas parce que pour eux c’est quelque chose de très professionnel, ils avaient du mal à croire que ce sont leurs enfants qui ont eu les idées de A à Z et qu’au final, un jeu a émergé de leur idées ». Les échanges avec les parents permettent par ailleurs de connaitre ce qui se passe à la maison et à l’école, et d’adapter les programmes et outils à utiliser en mettant l’accent sur certaines CPS.
  • Proposé à tous les parents : formation Faber et Mazlish2 . L’objectif est de développer les CPS des parents pour les aider à développer celles de leurs enfants (gestion des conflits, émotions, esprit critique…).
    ► COHÉRENCE SUR L'ENVIRONNEMENT DE L'ENFANT
• Bilans qualitatifs perçus par l’Espace19 :
  • vocabulaire plus précis autour des émotions : « Ils sont plus à-même de nous dire quand ça ne va pas. Ça nous a permis de recueillir plus facilement les émotions des enfants ».
  • meilleure gestion des conflits : de nombreux conflits entre enfants existaient en début d’année « Ils emmènent leurs problèmes d’écoles »,  et l’élaboration du jeu et le programme CPS ont apaisé les tensions. « Il y a eu un déclic de la part des enfants. Ils sont beaucoup plus à l’écoute vis-à-vis des adultes ».
  • sensibilisation des parents : la formation Faber & Mazlish a su toucher son public alors que faire venir les parents sur ce type de sujets est en général une difficulté majeure « les compétences psychosociales ne sont pas nécessairement une priorité comparée aux notes à l’école, la politesse et l’écoute ».  Par le bouche à oreille ce sont même les parents qui ont demandé à participer. « On a réussi à toucher notre public qui n’était pas sensibilisé et qui était en situation de précarité ».
  • meilleure communication parents-enfants. « Quand les enfants rentrent chez eux, ils parlent de ce qu’ils font dans le centre en général ». Et à la suite des formations, le constat a été fait que les tensions sont apaisées entres les enfants et leurs parents, et au sein des fratries.

On a eu un enfant qui avait été là l’année précédente. Comme il avait déjà eu ce travail-là, de temps en temps il avait un rôle d’animateur, il disait : « Attendez, les camarades, on ne s’écoute plus ! Écoutez-vous les uns les autres » C’était génial ! Il a totalement trouvé sa place. Des fois il était dans l’animation, des fois il proposait des idées. Elles n’étaient pas validées, il essayait d’argumenter, mais au final il lâchait. Alors que l’année d’avant il ne lâchait pas, il voulait que ses idées soient prises.

 

Comment transposer au mieux ce programme ?

Freins identifiés par la structure, et comment les éviter ou les réduire

Projet de jeu non abouti lors de la première année en raison d’un manque de financement, ayant obligé à reconduire la séquence de création du jeu et à repousser l’édition graphique.

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Utilisation en année 2 de financements internes via le Pôle Santé & médiation, avec un budget ARS IdF, Ville de Paris et Conseil régional. Cette reconduite de séquence a permis d’améliorer le projet et de le réadapter pour le rendre plus pertinent.

  

Déploiement dans tous les centres nécessitant un changement de pratiques, du temps et des ressources internes ou externes. Turn-over et difficultés pour certains professionnels de s’approprier le programme CPS et le jeu.

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L’animatrice-coordinatrice de l’Espace19 Cambrai s’est formée aux CPS et a co-animé avec l’ANPAA 75, pour être aujourd’hui autonome dans l’animation et dans les formations/accompagnements en interne. Objectif que les animateurs-coordinateurs des autres centres reprennent progressivement les programmes CPS, en co-animation puis en autonomie. ► FORMATION ET ACCOMPAGNEMENT DES PROFESSIONNELS

   

Manque d’adhésion au jeu pour quelques enfants (ex. enfants très difficiles, manque d’écoute des CM2 envers les CP…).

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L’Espace19 est en réflexion pour en comprendre les raisons : freins et conditions favorables selon les publics, pertinence de faire des groupes mélangeant les âges (levier pour certains, freins pour d’autres), etc.

 

Difficulté de toucher les parents, pour qui le développement des compétences psychosociales n’est pas une priorité, au regard de la réussite scolaire.

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L’animatrice-coordinatrice est un relai, s’occupant à la fois des enfants et du soutien à la parentalité. L’aide aux devoirs est un levier pour faire venir les parents lors des réunions collectives, la réussite scolaire étant prioritaire pour eux : utilisation de ces moments pour transmettre des informations plus larges, notamment sur les CPS.

   

Pratiques pouvant être très différentes entre l’environnement familial et le centre, avec parfois une dissonance dans les messages et les modes de communication.

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Les réunions parents, les échanges informels et la formation Faber  & Mazlish visent à aider les parents à avoir une communication bienveillante. ► COHÉRENCE SUR L'ENVIRONNEMENT DE L'ENFANT

 

Longue démarche pour protéger le jeu au niveau du droit : aujourd’hui pas en libre accès ni en prêt, et seulement 2 éditions, ne permettant pas une utilisation sur de plus grands groupes (par exemple une classe - jeu prévu pour 6-8 enfants).

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Une démarche de protection du jeu est en cours avec un avocat. La paternité appartient à Espace19 et l’ANPAA.

 

Leviers de réussite pour la structure

• Impulsion sur les thématiques CPS et empowerment par la direction. « C’est un peu notre feuille de route. Tous les animateurs-coordinateurs, responsables de centres, responsables de pôles doivent essayer de faire en sorte que nos adhérents deviennent des co-constructeurs d’actions, initient avec nous des actions ou soient accompagnés vers des projets qu’eux-mêmes lancent ». Cela se concrétise par la co-création du jeu avec les enfants, et des différents modes d’action avec les parents.
• Démarche globale visant le développement des CPS des enfants concernés, sur le long terme et en continu. Au travers de l’intégration de cette « culture » dans une multitude de programmes proposés aux enfants (animations en ouverture culturelle, intervenants extérieurs…), ainsi que dans des actions et informations spécifiques dédiées aux parents (formation Faber & Mazlish, réunions…), visant à réduire les éventuelles dissonances entre les pratiques promues au centre et celles mises en œuvre dans le cadre familial.
  ► COHÉRENCE SUR L'ENVIRONNEMENT DE L'ENFANT
• Dispositif partenarial, et programme complet de formation et d’accompagnement :
  • formation par l’ANPAA de quelques personnes puis sensibilisation plus large du reste de l’équipe, notamment sur les CPS, avec pour objectif de permettre aux professionnels d’être eux-mêmes des ressources auprès des équipes ;
  • accompagnement interne par la responsable du Pôle santé médiation et la conseillère conjugale et familiale du Pôle, afin de développer la « culture commune » sur les CPS ;
  • formation et accompagnement à l’animation du jeu, car s’il existe un livret détaillé, cela nécessite un appui à la prise en main et aussi une formation de base sur les CPS ;
  • formation Faber & Mazlish pour les animatrices-coordinatrices des 3 centres, afin de les aider dans leurs démarches de soutien à la parentalité ; et formation d’une intervenante en interne pour animer les formations parents et répondre à la forte demande, sans budget supplémentaire.
    ► FORMATION ET ACCOMPAGNEMENT DES PROFESSIONNELS
• Jeu coopératif (un seul pion pour toute l’équipe), encourageant l’écoute de l’autre, la collaboration, l’esprit d’équipe, etc.  C’est « un bel outil pour commencer à prendre ces compétences, recueillir des émotions, argumenter sur ses positions ». Les enfants ont parfois, en début de séance, des difficultés à percevoir le jeu comme un jeu d’équipe mais « ils intègrent l’importance de travailler en équipe et au fur et à mesure l’écoute se met en place toute seule ».
  ► PÉDAGOGIE INTERACTIVE ET EXPÉRIENTIELLE
• Posture des animateurs du jeu : levier déterminant, avec une évolution au fur et à mesure afin de donner un espace pour que l’enfant s’exprime :
  • mise en place de la collaboration et du cadre des échanges, afin d’encourager les débats sur les choix à faire pour progresser dans le jeu « la posture qu’il faut c’est de laisser débattre, et quand on voit qu’il n’y a plus d’écoute, de recadrer », par exemple de leur dire « là tu es sur tes positions, ton camarade dit le contraire, comment vous pouvez prendre une décision ? ».
  • posture qui permet de recueillir les émotions des enfants, les laisser dire ce qu’ils ressentent, grâce à l’empathie et l’écoute. « Ils prennent conscience qu’effectivement, à un moment donné il faut se poser et réfléchir aussi à comment je me sens moi et comment la personne aussi en face de moi se sent. ».
  • parallèle avec la vie quotidienne « est-ce qu’il vous arrive dans votre vie aussi de ne pas être d’accord avec des personnes et qu’est-ce que vous faites à ce moment-là ? », permettant de décontextualiser pour favoriser un apprentissage général et utile au quotidien.
  • disparition progressive du rôle de l’animateur, au profit d’échanges et d’écoute entres les joueurs « parce que c’est ça aussi l’objectif, que l’animateur disparaisse au fur et à mesure et qu’il soit là juste pour donner les informations importantes ».
  • travail « sans s’en rendre compte » sur l’ensemble des compétences psychosociales. « Quand on fait des ateliers on va centrer plus, par exemple sur la connaissance de soi, sur une compétence. Alors que là, finalement, ça balaie vraiment toutes les compétences, naturellement ».
    ► CLIMAT POSITIF ET BIENVEILLANT
• Valorisation de la création du jeu par les enfants. En premier lieu ce sont les enfants, dans le processus de création du jeu et son aboutissement, qui ont pu valoriser leur travail et l’utilisation des compétences qu’ils ont développées, cela favorisant leur confiance en eux et l’estime d’eux-mêmes.  Auprès de leurs parents également, surpris de voir ce que leurs enfants ont été capables de réaliser.
  
  Ensuite, la présentation du jeu comme une création d’enfants permet de faire adhérer d’autres enfants au programme. Ça les interroge beaucoup, ils se disent « ce sont des personnes comme nous qui ont créé ce jeu-là, en tenant compte aussi de leur vie d’enfants, de l’imaginaire, ce qu’on a envie de retrouver dans des jeux. On a fait confiance à des enfants pour la conception de ce jeu-là ».