Les données probantes et le transfert de connaissances : quelle(s) définition(s), quels enjeux ?

Je suis Chloé Hamant, sociologue de formation. J’ai été invitée à cette journée en tant que coordinatrice du dispositif Emergence à l’Instance régionale d’éducation et de promotion de la santé (IREPS) Auvergne Rhône-Alpes qui avait, justement beaucoup travaillé sur ces enjeux de données probantes, de transfert de connaissances. Avec Timothée [Delescluse] et Christine Ferron, nous avions coordonné cette note pédagogique sur les données probantes dans le champ de la promotion de la santé, fruit d’un travail collaboratif entre les différents acteurs adhérents de la fédération des acteurs de la promotion de la santé. C’est donc en lien avec cette expérience que je suis là, à Paris, en tant que provinciale, ce qui est quand même un vrai défi. Et l’autre défi, c’est que vous soyez là aussi, parce qu’on est sur des notions qui ne sont pas spontanément très attractives : avec les données probantes, on est un peu loin du terrain, on est plus volontiers sur des enjeux de ressources, d’alimentation des pratiques. 

Ce n’est pas forcément facile de prendre du temps pour réfléchir à ces questions, parce que c’est rentrer dans une espèce de tambouille, où la donnée probante est partout, mais on ne sait pas exactement de quoi il retourne.  En plus, cela concerne la donnée probante en promotion de la santé, ce qui vient encore spécifier, un peu l’objet de l’intervention.

Données probantes : entre données sur les problèmes et données sur les solutions

Quelle définition ? Quels enjeux ? La première des choses dont on s’est rendu compte quand on a travaillé avec l’ensemble du réseau, qui s’appelait encore les IREPS, c’est qu’il y avait, déjà, une première confusion à éclaircir : dans ces données probantes, il y avait à la fois les données sur les problèmes et les données sur les solutions. Et, souvent, il y a confusion entre les deux. Le premier enjeu, est de réussir à distinguer ce qui relève des données du problème et ce qui relève des données sur les solutions.

Les données sur le problème : on va trouver dans cette catégorie par exemple, la prévalence de fumeurs de tabac, le lien entre la sédentarité et l’obésité… Ça va être ce qui permet de décrire la situation, de comprendre ce qui se passe, y compris du côté des représentations des personnes, pour comprendre à qui on a affaire ; donc, sur l’analyse de la situation.

Et puis, l’autre partie, c’est les données sur les solutions. C'est-à-dire : comment va-t-on faire pour résoudre ces problèmes ? Par exemple, chercher à comprendre comment la prévention par les pairs, sous certaines conditions, peut être efficace ou comment il est possible d’intervenir en n’accentuant pas les inégalités sociales de santé, voire en les diminuant, soyons fous !

En même temps, on fait toujours référence à cette définition qui a été proposée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2004 qui dit que : « les données probantes, ce sont des conclusions tirées de recherches et autres connaissances, qui peuvent servir de base utile à la prise de décision dans le domaine de la santé publique et des soins de santé ».

Avec cette définition-là, on peut tout mettre dedans, mais on n’est pas forcément plus au clair de ce qu’on va pouvoir avoir, concrètement, comme données probantes. Est-ce que c’est la recherche, est-ce que ce n’est pas la recherche ? A quels enjeux ça va répondre ? C’est ce que le propos d’aujourd’hui essayer d'explorer. 

Données sur les problèmes

Pour que vous vous représentiez bien les choses, on va éclaircir aussi les différentes dimensions de ces données sur les problèmes. Je vous ai parlé, tout à l’heure, de la prévalence de fumeurs. C’est vraiment ce type de donnée épidémiologique et socio-démographique descriptive, qui va nous permettre de quantifier l’ampleur d’un problème. Est-ce que c’est quelque chose qui est majeur ? Est-ce qu’il y a beaucoup de personne en surpoids dans le quartier ? Ça peut être au niveau national, au niveau local… Des incidences sur le cancer du sein, par tranches d’âges, et par catégories, par exemple. Et même, des éléments comme la proportion des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) dans un territoire sont également des données importantes, parce qu’effectivement l’analyse des conditions socioéconomiques des personnes constituent un élément très important. Je ne vous apprends rien en vous disant que la dimension économique est un fort déterminant de la santé.

Il y a un autre type de donnée sur le problème, qui est peut-être moins évident en première intention. Ce sont les données sur les interactions entre des déterminants sur la santé, qui permettent de décrire les articulations entre les différents déterminants. Par exemple, on va parler de la place de l’alimentation dans l’identité des personnes issues de l’immigration, de la corrélation entre une forte sédentarité et les risques de surpoids, de la corrélation entre l’exposition au tabac et le risque de cancer, ou des représentations sur le tabac des grands fumeurs en situation de précarité. Tous ces éléments permettent de mieux comprendre ce qui se passe et comment on en arrive à cette situation-là ; de mieux comprendre, aussi, les ressorts de la situation de problèmes de santé publique.

Et puis, enfin, on peut aussi mettre dans ces données sur les problèmes, les données issues de recueils locaux, qui ne vont pas forcément être du même registre que celles qui sont plus souvent produites dans le cadre de recherche ou d’épidémiologie, mais qui vont permettre de contextualiser les enjeux locaux de santé et d’identifier la demande, les besoins et l’offre. Quand vous faites un projet, que vous essayez de voir quelle est la situation avant d’intervenir, ça vous intéresse de savoir ce qui se passe concrètement et de savoir, du point de vue de la demande, du point de vue des besoins et du point de vue de l’offre, où est-ce qu’on en est.

Ce sont des éléments qui peuvent être très objectivés : est-ce que les horaires d’ouverture des services publics sont adaptés ou inadaptés ? Vous pouvez faire un petit questionnaire sur votre quartier pour savoir si cela convient ou pas. L’observation des parcs du quartier, ce genre de choses, peuvent être des éléments qui vont vraiment nourrir la question de l’activité, de l’intervention que vous voulez construire, même si les données collectées ne sont pas quantitatives ou absolument représentatives d’un point de vue statistiques.

Et puis, les acteurs locaux, quand ils vont mettre en place un projet, généralement, ils mettent en place une petite enquête, un diagnostic local, quelque chose qui va leur permettre de construire leur intervention. 

L’idée qui avait été mise en avant, c’est que pendant longtemps, on s’est dit : si on connaît bien le problème, c’est bon, on va pouvoir avoir la solution. Mais, en fait, ce n’est pas vrai. C’est nécessaire de bien connaître le problème, je ne suis pas en train de dire que les données probantes sur le problème sont quelque chose qu’on pourrait mettre sur le côté de la route, bien au contraire. C’est vraiment central mais ce n’est pas suffisant : ce n’est pas parce que vous savez pourquoi il y a du surpoids, pourquoi il y a de la sédentarité, que vous avez trouvé le moyen de résoudre le problème. Et jusque-là, les chercheurs se sont davantage focalisés sur les problèmes que sur les interventions efficaces pour les réduire, même si, évidemment, c’est en train de changer. Ces quatre, cinq dernières années, on a vraiment vu évoluer les choses du côté de la recherche, avec le développement de la recherche interventionnelle.

Si vous venez du champ hospitalier, la recherche interventionnelle en recherche clinique, ce n’est pas du tout la même chose, même si c’est de la recherche sur l’intervention. Mais la recherche interventionnelle en promotion de la santé1  va faire référence à comment on va pouvoir améliorer les interventions complexes2  en santé publique, pour améliorer la réponse aux problèmes de santé, mentionnés ci-dessus.

Mais il existe aussi, au-delà de cette question de la recherche, de nombreuses sources de connaissances, dans la littérature, ainsi que dans l’expérience des acteurs qui mettent en place des actions quotidiennement. C’est aussi un enjeu parce qu’il y a beaucoup de choses qui se font depuis longtemps, mais c’est un savoir implicite. C'est-à-dire qu’on ne sait pas exactement ce qui se passe, que c’est transmis à son voisin, que c’est transmis, éventuellement, à son collègue de bureau ou à son service, mais, généralement, cela ne dépasse pas les murs de la structure.

Données sur les solutions

La notion de donnée probante va être issue, au départ, de la médecine basée sur les preuves, de l’« evidence based medecine », qui a été développée dans les années 90, avec  l’idée de développer une pratique basée sur les meilleures preuves scientifiques. Et à cela est associée une pyramide de la hiérarchie de la preuve, qui est enseignée dans les écoles de médecine et en santé publique, et qui va organiser les choses de telle sorte que vous avez tout en haut les essais cliniques randomisés et les méta analyses de revues systématiques.

Dans ce cadre de pensée, une donnée est d’autant plus probante qu’elle repose sur l’analyse des conclusions de plusieurs essais randomisés contrôlés. 

Les opinions d’experts, les rapports de cas, et ce qui pourrait ressortir de l’observation de pratiques, reste tout à fait en bas de la pyramide de la preuve.

Cela s’est progressivement étendu à d’autres domaines de la santé publique, au-delà du champ médical, dans le champ du médicament notamment, et repris tel quel dans le champ de la promotion de la santé. Et cela pose un certain nombre de problèmes. C’est un sujet de controverse, même.

Quels intérêts ?

Et pourtant, on va dire que cette question de la donnée probante, c’est intéressant parce que cela va améliorer les connaissances, pour une meilleure efficacité des interventions. On s’est rendu compte, avec ce développement de la recherche interventionnelle, qu’il y avait des choses qui étaient faites partout, avec beaucoup d’énergie, qui ne produisaient pas grand-chose, voire qui augmentaient les inégalités sociales de santé et que, quand même, il fallait arrêter.

On est bien d’accord, d’objectiver ces pratiques, de les évaluer, de regarder ce que ça produit, c’est vraiment intéressant et ça permet de piloter qu’est-ce qu’on va pouvoir mettre en place pour améliorer l’efficacité des interventions.

Et cela permet aussi une utilisation plus rationnelle des fonds publics, évidemment, parce que cela fait beaucoup d’énergie déployée, parfois, pour pas grand-chose. Et puis, cela participe à légitimer le champ de la promotion de la santé. C'est-à-dire que ce n’est pas forcément toujours évident de justifier que ce qu’on est en train de faire, cela a un réel effet sur les publics auprès desquels on intervient. 

Quelles limites ?

Souvent, l’essai contrôlé randomisé n’est pas tout à fait adaptable à la promotion de la santé. D’abord, parce qu’effectivement, on a affaire, en promotion de la santé à des approches complexes, et c’est la définition même de la promotion de la santé. C'est-à-dire qu’on va faire feu de tout bois, on va agir sur plusieurs déterminants et comment on va faire, pour gommer les effets du contexte, à partir du moment où on est en train de faire quelque chose qui est très multiple et qui a, justement, vocation à s’adapter au contexte.

Cela paraît fou pour un acteur en promotion de la santé, de se dire qu’il va arriver, qu’il va mettre une intervention en place qui ne va pas prendre en compte les personnes qui sont là. Pourquoi ? Parce que justement, la participation des personnes, le fait qu’on va s’appuyer sur les ressources locales, constitue un facteur d’efficacité et de pérennisation de l’action. Donc, on a quelque chose qui met en tension la méthode proposée pour l’évaluation et la réalité des pratiques, et de l’intervention même en promotion de la santé.

Un des enjeux est comment on va faire participer, comment on va autonomiser les professionnels et les publics ; c'est-à-dire, les rendre eux-mêmes, acteurs de l’intervention, qu’ils s’en saisissent et qu’ils puissent continuer à faire des choses derrière. Et c'est aussi un problème, avec ces essais contrôlés randomisés, qui voudraient proposer des interventions qui soient la même partout et qui puissent être reproductibles.

Et ensuite, il y a toute cette question, qui émerge beaucoup, autour de l’éthique par rapport au groupe témoin. Si vous intervenez et que vous faites rentrer dans une recherche des groupes témoins dans votre intervention, vous allez leur dire : « vous allez participer à une recherche, mais vous n’allez bénéficier d’aucune intervention, parce que vous êtes le groupe témoin ». En tant que chercheur, cela ne vous pose pas forcément de problèmes, mais sur le terrain, cela pose des questions de comment faire… Et puis, globalement, cela pose des questions éthiques : comment on fait pour faire quelque chose pour les personnes qui n’ont pas été bénéficiaires de l’intervention ? Évidemment, il y a des solutions pour résoudre à cela.

Et puis autour des résultats produits par ces méthodes d’essais contrôlés randomisés, on a aussi un certain nombre de choses qui viennent nous interroger sur la nature même des données probantes. Avec le groupe RITeC3  (Recherche interventionnelle et transfert en connaissances) qui était constitué d’un certain nombre de collègues des IREPS, avec l’analyse de la littérature sur la question, on a fini par trouver trois grandes questions qui pouvaient rendre les données probantes en promotion de la santé, à la fois fiables, mais aussi utilisables. 

Est-ce que ça marche ?

Parce que c’est un peu ce que cherche à établir l’essai contrôlé randomisé : « Est-ce que ça marche ? » C'est-à-dire : est-ce qu’effectivement, l’intervention qui a été produite produit un effet ? A un impact sur les populations ? A des effets positifs sur les populations ? Et ça, c’est, effectivement, la première question qu’on se pose, ça nous traverse et ça fait partie des choses qui ne vont pas poser problème du tout du côté de l’essai contrôlé randomisé.

Là-dessus, on va avoir un indicateur d’impact, ou des résultats intermédiaires. Et ça, c’est vraiment quelque chose qui a mobilisé beaucoup des attentions méthodologiques et financières, c’est : produire des études qui permettent d’évaluer l’impact de l’intervention et les résultats intermédiaires. C’est très important, ça fait partie des questions, mais ce n’est pas la seule dimension qu’il faut pouvoir aborder, et peut-être ne pas se limiter dans les effets produits à un indicateur d’impact, puisque bien d’autres éléments sont consécutifs d’une intervention complexe en promotion de la santé.

Comment ça marche ?

L’autre dimension, c’est aussi : « comment cette intervention a fonctionné ? Comment on a atteint ce résultat ? Comment on a pu avoir un indicateur d’impact qui fonctionne ? » Donc, c’est l’analyse des leviers, des facteurs contextuels, qui vont favoriser la transférabilité de l’intervention. C'est-à-dire : reproduire ces résultats dans un autre contexte. C’est très intéressant d’avoir un résultat positif, mais si vous ne pouvez pas reproduire le résultat dans un autre contexte, c’est un peu embêtant. Là, on va parler des composantes et des fonctions clefs.

Comment ça peut marcher dans d’autres contextes ?

Et puis, l’autre question à laquelle on doit pouvoir répondre, c’est : comment ça peut marcher dans d’autres contextes. Et on va alors identifier à l’intérieur des interventions, la forme qu’a pris cette intervention dans ce principe-là. 

Pour donner un peu la distinction entre le « comment ça marche » et le « comment ça peut marcher dans un autre contexte », il faut vraiment imaginer qu’il y a la dimension qui représente la composante. Par exemple : vous faites une intervention pour prévenir l’obésité chez les jeunes enfants. Vous vous rendez compte qu’il y a eu beaucoup d’ateliers qui ont été mis en place et que ce qui a vraiment été un facteur d’efficacité, c’était le fait que dans ces ateliers, il y ait tout un espace d’appropriation des notions, une mise en pratique des choses. C’est quelque chose qui va être du côté de la composante : le fait de pouvoir mettre les personnes bénéficiaires en activité pour s’approprier les choses.

La façon dont cela est mis en place, change d’un contexte à l’autre. D’un côté, ce sera des ateliers cuisine, de l’autre côté, au contraire, chacun va apporter des éléments de chez lui, mais il va raconter comment il l’a fait, etc. Chacun va imaginer, avec les ressources et les possibilités de son territoire, comment il va le mettre en place. Et cela constitue une source d’inspiration importante. 

Ainsi, on va essayer, dans l’intervention, de décortiquer : qu’est-ce que cela produit, qu’est-ce qui est le principe de l’intervention, la composante de l’intervention, et la forme que cela a pu prendre. C’est vraiment intéressant car cela vous permet, quand vous faites une activité, une intervention, un programme en promotion de la santé, de remonter d’un cran sur le principe, et de voir comment vous pouvez le développer ailleurs sans bloquer la créativité et l’appropriation par les acteurs de terrain. Et c’est vraiment une dimension de méthode en ingénierie de l’intervention qui est très intéressante.

Production des données probantes sur les solutions en promotion de la santé

Alors, évidemment, les sources ne vont pas être tout à fait les mêmes. Honnêtement, moi, je suis chercheure en sociologie, mais avec mes collègues de l’IREPS, on n’est pas, au quotidien, en capacité de mesurer l’impact des interventions, en routine sur nos programmes. Ce n’est pas possible. Mesurer l’impact, c’est du domaine de l’expérimentation et de la recherche : il faut mettre en place un protocole et il faut réfléchir à une méthode robuste pour évaluer cela. Donc, ce n’est pas forcément l’essai contrôlé et randomisé, mais une méthode robuste. C’est de la recherche interventionnelle et c’est dans ce champ-là qu’on va pouvoir avoir les moyens nécessaires. Ce ne sera pas tout le temps, ça va être de façon ponctuelle, mais on va trouver des moyens d’évaluer vraiment les effets de l’intervention.

Et après, sur le comment ça marche et comment ça peut marcher dans d’autres contextes, on a des choses beaucoup plus mixtes. On va avoir, effectivement : la recherche interventionnelle qui va contribuer à l’analyse des modalités de l’intervention, des composantes de l’intervention ; la capitalisation, dont on va reparler, qui est aussi un moyen d’aller chercher la façon dont l’intervention s’est construite ; les analyses de transférabilité, qui vont être nourries par la capitalisation ; et les évaluations de processus qui, là aussi, vont expliquer comment on en arrive à ce résultat.

Et puis, le « comment ça peut marcher dans d’autres contextes », donc, l’identification des formes d’applications possibles. Effectivement, la capitalisation, là aussi, quand on a des capitalisations par situations, vont pouvoir vraiment illustrer les choses en termes de source d’inspiration. Et les analyses de transférabilité vont aussi proposer un certain nombre d’éléments par rapport à cela. 

Ce sont ces éléments, finalement, qui vont permettre de produire les données probantes sur les solutions en promotion de la santé. Donc, vous avez, des données scientifiques, où la santé publique est une discipline importante, mais il y a beaucoup de disciplines qui peuvent être mobilisées par rapport à cela. Quand on parlait, par exemple, de la question des représentations sur l’alimentation, cela peut être tout à fait en sociologie, ou quand on essaie d’évaluer les compétences psychosociales, on peut être du côté de la psychologie, de la psychologie sociale ou sur les stratégies pédagogiques du côté des sciences de l’éducation. Donc, on a une multitude d’acteurs de la recherche, qui sont issus de différentes disciplines — ce qui constitue, déjà, un pari en soi à faire travailler de façon transversale, qui peut contribuer à produire des données scientifiques.

Vous avez également de nombreuses recommandations et synthèses qui peuvent être produites, notamment, par exemple, par le Haut Conseil de la santé publique. Et puis, vous avez toutes les données, plutôt du côté de la production des informations par les acteurs de terrain, sur les pratiques expérimentales, les savoirs d’expérience, qui vont être, des données issues de capitalisations transversales. C'est-à-dire : comment, avec une collection d’interventions capitalisées, on va pouvoir mettre en lumière un certain nombre de leviers. Et enfin, des savoirs issus de l’expérience capitalisée, c'est-à-dire des savoirs qui ont été mobilisés et analysés, qui ne sont pas juste des témoignages bruts.

Et celai va constituer des données probantes sur l’intervention qui vont être, dans ce cadre de référence d’autant plus probante qu’elle croise différentes sources de données et qu’elle est utile à la pratique. Et cet enjeu d’utilité est vraiment une dimension importante. C'est-à-dire que la méthode utilisée pour obtenir un résultat très robuste, c’est intéressant, mais si la méthode pour obtenir ce résultat n’est pas détaillée, et qu’on ne peut pas s’en servir, cela limite clairement l’intérêt de la donnée produite. Avec cette question de l’utilité s’exprime l’enjeu du partage des formes prises, comme une source d’inspiration : comment va-t-on s’y prendre pour mettre en place ce type d’intervention ? C’est vraiment très important et c’est ce qu’on va, un peu, explorer tout au long de la journée.

Capitalisation des expériences

Je ne sais pas si vous êtes familiers avec ce terme de « capitalisation ». C’est vrai que la Société française de santé publique (SFSP) et la Fédération Promotion Santé (anciennement Fédération nationale d'éducation et de promotion de la santé (Fnes)) ont fait un gros travail de développement de la notion. Cela consiste à rendre partageable le savoir constitué à l’occasion de la mise en œuvre d’interventions. En fait, c’est pour rendre partageable ce fameux savoir implicite que nous avons en tant qu’intervenants en promotion de la santé. 

Cela va consister en une approche compréhensive du contexte de mise en œuvre de l’action et des leviers mobilisés. Il y a deux grandes dimensions : une dimension d’apprentissage. Car pour la personne qui va faire l’entretien, le fait de lui poser des questions, de creuser pour savoir de quoi il s’agit va lui permettre d’avoir une approche réflexive de sa pratique. Les questions seront souvent des questions de relance « Et comment tu as fait ça ? Et pourquoi tu as fait ça ? Et pourquoi tu as fait ce choix-là ? Mais, à ce moment-là, quand tu dis : « j’ai informé les gens », comment tu as informé les gens ? C’était quoi, tes leviers ? Pourquoi tu as fait ce choix-là plutôt qu’un autre ? », etc. Donc, il y a une dimension de réflexivité qui va être intéressante pour la personne qui participe à l’entretien, et puis, qui va aussi, effectivement, permettre une dimension de partage du savoir, finalement. Il s'agit d'une dimension qui est très importante. 

Juste pour aller très vite sur la capitalisation parce qu’on va revenir dessus dans les ateliers tout à l’heure, mais il faut vous représenter que c’est une méthode d’entretien semi-directif, qui a été formalisée, avec cette idée qu’il y a quelqu’un qui vous « accouche », au sens : qui vous interroge pour faire vraiment sortir ce que vous avez pu mettre en œuvre et tous les implicites, que vous avez eus dans votre intervention, qui va décrire de façon très approfondie, les manières de faire, le contexte dans lequel vous étiez. Et c’est un travail qui se fait avec les porteurs qui sont impliqués dans la démarche et qui va permettre — et c’est un enjeu, aussi— de faire une restitution appropriable.

C’est une méthode pour faire émerger un certain nombre de choses. Vous avez une multitude d’utilisations de la capitalisation derrière.  C’est vraiment la méthode de production, ce n’est pas la méthode d’utilisation de la capitalisation, c’est : comment on produit du savoir partageable. Ce n’est pas de la recherche et ce n’est pas de l’évaluation, même si la capitalisation peut servir à la recherche et à l’évaluation.

A une époque, je n’avais aucune ressource à donner pour la capitalisation. Maintenant, c’est une époque révolue, nous en avons plein, des sources de capitalisation, à la fois simples et transversales

Quelle place pour les programmes validés ?

Je fais un petit détour sur les programmes validés, parce que dans le champ des données probantes sur l’intervention en promotion de la santé, les programmes validés, c’est quelque chose que vous retrouvez régulièrement.

Cela peut être, effectivement, très intéressant parce que ce sont des programmes qui ont montré leur efficacité sous forme expérimentale, avec une évaluation d’impact, qui a participé à un long parcours de validation. Vous êtes à quatre, cinq, six ans, sept ans, parfois, pour avoir vraiment toutes les étapes d’évaluation, de façon la plus convaincante possible. Ce sont des programmes qui ont montré leur efficacité. On les appelle souvent : programmes probants. Moi, je ne suis pas trop favorable, parce que je trouve que cela confusionne avec les données probantes. Est-ce que données probantes, programmes probants, c’est la même chose ? Je trouve que ce sont des programmes validés, c’est plus explicite et cela évite la confusion entre les deux. 

Et puis, souvent, il y a la méthode qui a permis d’évaluer l’efficacité, et c’est accompagné d’un certain nombre de guides, des formations, pour mettre en place ces programmes. 

Il y a beaucoup d’avantages pour les financeurs, notamment, parce que c’est très rassurant. Vous vous dites : je vais financer un programme qui a été validé, qui a montré son efficacité. Donc, a priori, ça va marcher. Donc, c’est plutôt encourageant pour les financeurs. Souvent, c’est des choses qui sont très balisées, avec des séances dans un certain ordre, avec un certain nombre de séances, de façon très concrète. Et cela permet de se lancer, parce que vous avez des éléments clef en main. Et ça permet, en apparence, tout au moins, de maîtriser les coûts parce que vous savez exactement quelles sont les séquences, vous financez ces séquences, vous savez combien vous budgétez, et, quelque part, tout le monde s’y retrouve. C’est intéressant pour ces raisons-là.

Après, on a un petit peu plus de soucis par rapport à la question de l’expérimentation par rapport à la mise à l’échelle. Je pense que je n’apprends rien à personne en disant cela, qu’entre la théorie et la pratique, il y a un certain nombre de choses qui se posent. Et on pourrait se poser un certain nombre de questions sur ces programmes validés pour évaluer si, pour le mettre en œuvre, c’est un programme validé qui va être opérationnalisable. Par exemple, on peut se poser la question de la description des composantes du programme. Est-ce qu’on est bien clairs dans ce programme de qu’est-ce qu’on est en train de mobiliser ? Est-ce que la logique de l’intervention est bien décrite ? Notamment sur toute la dimension partenariale, en amont.

Parce qu’en fait, pour déployer des séances, il y a tout le travail préalable pour faire  en sorte que les personnes soient d’accord, qui vous avez contacté… Et c’est souvent une partie cachée de l’iceberg, et qui n’est pas financée. Donc, est-ce que, par exemple, le programme validé que vous évoquez, a pris en compte la dimension du déploiement du côté partenarial ? Est-ce qu’il laisse une place d’adaptation au contexte ? On l’a vu, en promotion de la santé, ce qui va faire pérennisation, c’est l’appropriation par les acteurs, et donc, effectivement, il faut qu’il y ait une petite part d’adaptation au contexte, sinon, il n’y a pas d’appropriation.

Est-ce qu’il laisse l’appropriation, l’adaptation au contexte, avec les ressources en place ? L’appropriation et l’autonomie, avec la variation des formes possibles ? Même si les composantes, elles, pour reproduire l’intervention, doivent être respectées. Et est-ce que les moyens alloués couvrent la réalité des activités mises en œuvre ? Cela résonne avec la première partie.

Ce sont des enjeux de transférabilité, de faisabilité, d’acceptabilité, qui sont évoqués à travers ces dimensions-là. Donc, les programmes validés sont-ils adaptés ? Oui, avec un certain nombre de conditions qui vont respecter ces enjeux de faisabilité de la mise en œuvre.

Les programmes basés sur des données probantes

L’autre proposition, à côté des programmes validés, c’est de baser des programmes sur des données probantes. Et cela va être possible si vous avez une méthodologie de projet qui est robuste. 

C’est cela, aussi, qui va garantir le fait que vous ayez un programme qui soit bien construit. Et de construire par rapport à cette méthodologie de projet, sur ce cycle du projet, de bien mobiliser à certains endroits (3. Définition des objectifs et des stratégies ; 4. Choix des leviers d’intervention et des activités ; 5. Planification opérationnelle ; 7. Évaluation) des données probantes qui vont être issues, à la fois, de la recherche, de la capitalisation d’expériences, et qui vont permettre, du coup, de réduire les inégalités sociales de santé. C’est donc une possibilité de baser ces programmes sur des données probantes et non pas, juste, des programmes déjà tout organisés. Cela va permettre à la fois d’avoir une rigueur dans la méthode d’intervention et favoriser l’adaptation au contexte parce que vous allez construire votre programme en fonction des contraintes et ressources du site, et de tenir compte de la demande des bénéficiaires. Cela permet la participation des bénéficiaires et des acteurs de terrain, de la construction, de l’appropriation et de la pérennisation, et une meilleure adéquation entre les moyens et les activités parce que vous allez faire une ampleur plus ou moins importante suivant les ressources disponibles. 

Il y a des limites, parce qu’il faut connaître les données sur l’intervention ; ce n’est pas si facile que ça. On dit : « les données probantes, construisons sur les données probantes ». Elles sont où, les données probantes ? Et puis, même une fois que vous les avez trouvées, il faut savoir comment s’en servir. Et puis, tout cela est à mettre en lien avec des outils et des pratiques concrètes. C'est-à-dire que des principes d’intervention, ça n’a jamais fait l’intervention elle-même. Il faut donc pouvoir faire le lien entre tout cela. On va être, là, dans des enjeux de transferts de connaissances, qui vont être importants et qu’on va travailler tout au long de la journée. 

Pour résumer : les données probantes, c’est le fait qu’il y a une preuve d’efficacité d’une action, que ce n’est pas suffisant pour dire que c’est probant ; il y a l’enjeu de l’applicabilité, de la transférabilité, de l’adaptation au contexte, de la mise à l’échelle, tous les enjeux de transferts de connaissances et de capitalisation qui sont derrière. Ce n’est pas juste l’efficacité. 

Les données probantes ne sont pas probantes en soi, mais associent des savoirs provenant des recherches croisées avec les savoirs professionnels, avec les bonnes méthodes. Elles doivent être utiles pour la pratique, et elles ne sont pas des recettes à appliquer, mais des points de repères à adapter en fonction des contextes. Quoi qu’il arrive, la promotion de la santé fait « avec » les gens, elle ne fait pas « pour » les gens, « sans » les gens.

De ce fait, le rôle des acteurs ressources est important. Je pense que vous êtes très nombreux à être dans cette position-là, à faire collaborer les différents champs professionnels. Cela va être aussi l’enjeu de savoir de quoi on parle quand on parle de données probantes, et sur quoi on fait reposer les interventions. Cela veut dire, aussi, qu’il y a un enjeu à favoriser la capitalisation simple, pour l’inspiration, et la capitalisation transversale pour mieux décrire les composantes de l’intervention. C'est-à-dire : comment on va faire, à la fois, émerger des expériences pour pouvoir les partager, et aussi, près des collections d’expériences, tirer les leviers de l’intervention. Et comment on va développer, finalement, le transfert de connaissances en ne s’arrêtant pas à la diffusion de résultats scientifiques, mais qu’on va développer le courtage en connaissances4
 

Journée régionale sur les données probantes

Notes:

  • 1. La recherche interventionnelle se définit comme étant l’ « utilisation des méthodes de la recherche pour produire des connaissances concernant des interventions, qu’elles soient menées ou non dans le champ du système de santé. Elle a pour objectifs de démontrer l’efficacité des interventions, d’analyser les leviers à mobiliser, les mécanismes des interventions, leurs conditions et modalités de mise en œuvre, leur reproductibilité et durabilité. » Alla François, Kivits Joëlle. La recherche interventionnelle en santé publique : partenariat chercheurs-acteurs, interdisciplinarité et rôle social. Santé Publique 2015 ; 27(3) : 303-304. En ligne : https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2015-3-page-303.htm
  • 2. Agir en promotion de la santé implique d’activer plusieurs leviers et stratégies d’intervention (niveaux individuels, communautaires ou politiques). Ainsi, les interventions en promotion de la santé sont considérées comme étant des interventions complexes car elles sont « constituées d’un ensemble d’actions conduites à plusieurs niveaux, s’appuient sur les contributions incertaines d’une grande variété d’acteurs porteurs de logiques et de représentations pas toujours convergentes, et enfin dépendent des influences de l’environnement ».
    Françoise Jabot, Jeanine Pommier, Marie-Renée Guével. Evaluation en promotion de la santé. La promotion de la santé, comprendre pour agir dans le monde francophone., https://www.presses.ehesp.fr/produit/promotion-de-sante/, pp. 411-442, 201
  • 3. Le groupe RITeC est un groupe de travail national animé par des membres du réseau de la Fédération Promotion Santé, ayant comme principal objectif de clarifier et diffuser des notions appartenant au domaine scientifique en prévention, promotion de la santé et éducation pour la santé.
  • 4. « Le courtage [de connaissances] est un processus qui vise, via un intermédiaire, à favoriser les relations et les interactions entre les différents acteurs en promotion de la santé (chercheurs, acteurs de terrain, décideurs) dans le but de produire et d’utiliser au mieux les connaissances basées sur les preuves. Les actions de cet intermédiaire peuvent être multiples et variées selon le contexte mais visent toutes à créer du lien et de la communication, à valoriser les connaissances et les compétences de chacun (sans critère de priorisation ou de hiérarchisation) et à améliorer les pratiques. » Munerol, L., Cambon, L. & Alla, F. (2013). Le courtage en connaissances, définition et mise en œuvre : une revue de la littérature. Santé Publique, 25, 587-597. https://doi.org/10.3917/spub.135.0587