Il est important de se poser un certain nombre de questions relevant de l’éthique du développement des CPS, notamment car ce développement est formulé dans une vision individuelle, alors que nos pratiques en santé publique s’intéressent au système.
Le développement des compétences psychosociales (CPS) est arrivé comme une très bonne nouvelle pour les éducateurs pour la santé, et les acteurs de la prévention et de la promotion de la santé. Ce qui n’empêche pas de se poser des questions relevant de l’éthique du développement des CPS, au moins sous l’angle d’un certain nombre de risques inhérents à cette pratique.
Le risque de non prise en compte du système
Ce risque est inhérent au fait que le développement des compétences psychosociales est formulé dans une vision individuelle, alors que nos pratiques en santé publique s’intéressent aux systèmes dans lesquels évoluent les personnes.
Développer les CPS des enfants ou des adolescents en milieu scolaire pose la question de la prise en compte du système scolaire dans lequel ils évoluent. Par exemple, développer les CPS dans un établissement scolaire où règne un climat scolaire épouvantable n’a pas beaucoup de sens.
Ensuite, toujours lié au risque d’individualisation des pratiques, développer des compétences, c’est développer le pouvoir d’agir. Si on développe chez les enfants, adolescents ou adultes, des compétences à exprimer des besoins, à porter des revendications, à aller interpeller des décideurs, encore faut-il que le système permette l’expression de ces compétences, mais aussi que lorsque ces revendications sont portées à un niveau décisionnel, on ne leur claque pas la porte au nez.
Le risque de normalisation
La question peut se poser sous cet angle : finalement, cherchons-nous uniquement à développer des compétences, ou cherchons-nous à normaliser des comportements ?
Ce risque existe, car si l’on regarde les textes produits par l’Organisation mondiale de la santé autour du développement des compétences psychosociales, on trouve la mention selon laquelle « les émotions intenses comme la colère ou la tristesse peuvent avoir des effets négatifs sur notre santé si nous ne réagissons pas de façon appropriée ». L’utilisation du terme « approprié » pose question, dans le sens où l’on peut se demander, par exemple, s’il est souhaitable de vouloir définir une façon qui serait « normale » ou « acceptable » d’exprimer la colère en toute circonstance.
Un groupe de travail composé d’acteurs s’est justement interrogé sur cette question de l’expression de la colère, en disant que, peut-être, la colère n’était pas toujours mauvaise conseillère, et qu’en fait elle pouvait être le moteur de revendications sociales, de révoltes face à des injustices qui elles-mêmes peuvent être d’une très grande violence vis-à-vis de celles et ceux qui en sont victimes.
Donc l’idée n’est évidemment pas, dans le cadre du développement des compétences psychosociales, d’aller jusqu’à un lissage ou une neutralisation des comportements, mais plutôt de faire en sorte que ces expressions d’émotions se produisent dans un cadre permettant que ces émotions soient entendues et puissent être prises en compte dans le milieu concerné.
Le risque de simplification dans les approches
On pourrait être tenté de se dire qu’une fois qu’on a développé la capacité à mieux communiquer ou à prendre des décisions, on a fait le tour de ce qui constitue un sujet acteur de sa propre santé, capable de s’impliquer dans des projets d’éducation pour la santé ou de promotion de la santé, de promouvoir sa propre santé et celle des autres.
En réalité, pour être efficace et vraiment pertinent, le développement des compétences psychosociales doit s’intégrer dans une démarche globale de promotion de la santé ou d’éducation pour la santé. Une démarche qui prenne véritablement en compte les critères de qualité, les principes éthiques et méthodologiques de la promotion de la santé. Notamment, l’inscription dans la durée, le respect des dynamiques propres aux personnes et aux groupes, la possibilité de développer une véritable participation, etc.
C’est à ces conditions que le développement des compétences psychosociales répondra de manière pertinente aux trois questions qui viennent d’être soulevées.